Quelle était la durée du temps de travail d´un gardien de camp de concentration ? Préférait-il jouer aux cartes, pratiquer la boxe ou se délasser en lisant un roman policier ? Sa famille vivait-elle avec lui ? Il n´existe aucune étude systématique des gardiennes et des gardiens. Les sources ne manquent pourtant pas, entre les archives de la SS conservées à Berlin et les nombreux dossiers individuels constitués lors de l´épuration. Ce livre part des documents de l´administration centrale qui les encadrait. L´ordre SS gérait tous les grands camps de concentration et d´extermination ainsi que des établissements annexes moins connus. L´enquête reconstitue la stratégie de gestion des ressources humaines que Himmler et ses adjoints ont mise en oeuvre, non seulement pour permettre aux bourreaux d´accomplir leur office, mais surtout pour éviter qu´ils s´ennuient. A Auschwitz, les gardiens n´ont pas seulement exterminé des femmes et des enfants, ils ont aussi tué le temps. Les tueurs nazis ont joui de loisirs savamment organisés alors qu´à la même époque les surveillants du Goulag étaient laissés dans une condition à peine supérieure à celle des détenus. En adoptant l´angle de vue des tueurs, le livre ne prétend pas excuser leur crime. Mais ce regard dérangeant dévoile la gouvernance de l´entreprise SS et les choix des leaders nazis dont l´ambition était de donner à leurs auxiliaires une vie agréable, celle d´une élite qui se pensait comme une nouvelle noblesse prédatrice. Jeux, lectures, cinémas, théâtres, bordel et vie de famille : le temps libre était pensé dans le détail. Tout cela banalisait la nature du «travail».