Le 12 septembre 1942, à huit heures du soir, le Laconia, vieux paquebot de la "White Cunard Line", se trouvait à 300 milles au sud du cap Palmas, dans l'Atlantique sud. Il regagnait l'Angleterre, venant de Suez, avec trois mille passagers - dont un grand nombre de femmes et d'enfants - à son bord. À huit heures dix, un sous-marin allemand, l'U.156, avec comme commandant Werner Hartenstein, le torpillait et le coulait...
Hartenstein circulait au milieu des épaves, à la recherche du commandant du Laconia, pour le faire prisonnier, lorsqu'il entendit appeler "au secours" en italien. Il repêcha quelques naufragés, et apprit ainsi que le Laconia contenait dans ses cales mille huit cents Italiens faits prisonniers en Libye. Hartenstein recueillit près de deux cents hommes sur son petit sous-marin, et prit les canots en remorque. Affolé par l'ampleur du désastre, par le spectacle de ces femmes et ces enfants nageant la nuit au milieu des requins, il télégraphia à l'Amiral Doenitz : "J'ai coulé Laconia ; malheureusement, 1 800 prisonniers italiens..."
L'état-major de l'Amiral était d'avis de rejeter tout le monde à l'eau. Mais Doenitz lui-même s'y opposa. Mieux, il donna l'ordre - à trois sous-marins allemands et à un sous-marin italien - de rallier le lieu du naufrage. Il demanda aussi aux Français d'envoyer des bâtiments.
L'U.505, l'U.506, le Cappelini, firent aussitôt route vers le point indiqué, tandis qu'à Dakar la Gloire appareillait, que l'Annamite et le Dumont-Durville étaient déroutés.
Cependant que beaucoup de naufragés disparaissaient noyés, blessés, ou tués par les requins, Hartenstein envoyait un message en clair et en anglais aux Alliés, les priant de l'aider dans son sauvetage. L'U.505 et l'U.506 arrivaient, et prenaient à leur bord les naufragés.
Mais, le 16 septembre à midi, un avion, un quadrimoteur, survolait l'U.156 et le bombardait. Le sous-marin, après s'être débarrassé de ses passagers, plongea, avec de graves avaries. L'avion - on le sait aujourd'hui - était un B.24 Liberator américain.
Ce drame, unique dans les annales de la Marine par le nombre des naufragés, et par la nationalité des navires venus au secours des rescapés - allemands, italiens, français - devait avoir des conséquences graves. Furieux, l'Amiral Doenitz devait, en effet, interdire formellement le sauvetage des naufragés de navires torpillés. C'est cet ordre, l'ordre Triton Null, et son appartenance au gouvernement d'Hitler, qui devaient lui valoir, à Nuremberg, dix ans de prison.