La Grosse Francine dit : « On t'cherchait, la Mimi et moi on en a marre de t'voir tapiner chez nous, maintenant qu'la Gloria est crevée, faut plus faire chier. » Et la Mimi dit : « Tu vas r'tourner dans tes tasses, espèce de loque, t'es aussi déglingué qu'la Gloria. » Je m'accroche au comptoir de La Nuit, j'ai du mal à tenir debout. Je dis à la Grosse d'aller se faire foutre, j'essaye de lui balancer ma main sur la gueule, mes doigts se prennent dans sa perruque, je hurle de rire ; elle est chauve. Avec des gros nichons et des bottes de cow-boy. Elle se met à cogner en gueulant : « Sale crevard de pédé pourri, j'vais t'foutre ce déchet dehors ! Aide-moi, Mimi ! » Je suis allongé sur le trottoir, mon nez saigne, j'arrive pas à me relever, je vois des jambes. Un attroupement. Et puis la botte de Grosse Francine qui me pousse dans le caniveau « Sale enculé ! » Je gueule : « Bande de pouffiasses ! » Le reflet des néons sur le pavé mouillé. Je vois pas mon reflet dans le caniveau. D'un style incisif et cru qui deviendra la patte de D. Belloc, Néons éclaire les tôles mouillées des pissotières et l'asphalte de Pigalle. Néons est devenu un classique. "Éclatant, magnifique, comme toujours la vérité", (Marguerite Duras).
Table des matières
I. Le Menhir de Paimpol
II. Les chevaux de Honfleur
III. La Truie
IV. La nounou du Roi
V. Johnny
VI. La Cave
VII. La vieille
VIII. Réglisse et Domino
IX. Godzilla
X. Raquel Welch for ever
Le nez dans la crasse du monde ; dans la beauté, la crasse, la violence, l'amour, la grande biture du monde, ainsi vit et écrit Belloc depuis son premier livre, Néons, pour lequel Marie Muller, dans Le Nouvel Observateur, trouvait ces mots. Plus rien d'autobiographique ici, mais toujours le portrait implacable d'une misère violente, acharnée, dont la présence têtue résiste à une société frivole qui l'évacue, la masque ou la moque. Brutalisée, jetée dès sa naissance dans la ronde infernale du dénuement, des coups, du viol, Marie n'a pas les moyens de se défendre, ni contre une mère haineuse, ni contre un mari que l'alcool transforme en bourreau, ni même contre l'amour de Thérèse qu'elle accepte comme un repos. Thérèse qui déteste les enfants de Marie qui la détestent. Dans cette haine anxieuse, que Marie n'avait pas vue venir, c'est un de ses fils qui saisira le couteau, bouclant ainsi la boucle de la violence. Le livre fermé, je le vois, écrit dans une encre très noire, comme en relief, disait Marguerite Duras. La noirceur, la violence, en effet, sont aussi dans le style, dans ce corps à corps que Belloc engage avec l'écriture, donnant à ses textes une dimension qui dépasse le réalisme : la vérité littéraire.
Dans le Petit Parmentier, bistrot du XIe arrondissement de Paris, les habitués, sous l'effet de l'alcool et de la promiscuité, se révoltent, divaguent, dévoilent leurs petites névroses... vivent. Le style sobre et puissant de D. Belloc, dont les premiers romans ont été salués par la critique, s'y révèle plus pénétrant, plus incisif et plus drôle que jamais.
Nadiéjda est née de parents juifs et russes dans les années trente à Belleville. Sa mère Chaja, son père Mozek et le grand-père Schlomo parlent yiddish. Nadiéjda, elle, parle le parigot de Belleville. C'est d'abord la langue dans laquelle Nadiéjda se mesure à la vie, ce français de Belleville dont l'accent - elle y tient - fait d'elle une Française. Nadiéjda traverse les temps troublés de la guerre et de l'occupation : la rafle du Vél' d'Hiv', l'Assistance publique. Nadiéjda a vingt ans et ses yeux bleus attestent de son innocence. Années cinquante, le mariage, les enfants, le divorce, d'autres hommes et tant de personnages peloteurs et suintants de désirs, émouvants ou pathétiques qui peuplent le Paris du pavé et du plaisir. Nadiéjda a traversé le temps. Elle grimpe ses trois étages de la rue du Chemin Vert le souffle court et les jambes lourdes et des cabas pleins de marchandises, son bizness...
« Les hommes ne bougent pas, les chiens grognent, les matraques s'agitent, alors quelques vieillards sortent du troupeau et forment un groupe à gauche. L'officier blond marche vers ceux qui n'ont pas bougé. Mine a le coeur qui bat, elle se dit qu'il va la remarquer, voir ses yeux gris, ses cheveux aussi blonds que les siens. Lui et elle sont de la même race, il va la séparer des autres, elle en est sûre. »