Il existe des souvenirs minuscules comme on parle de vies minuscules. Frédéric Vitoux se souvient de cette « assiette du chat », objet de disputes entre son frère, sa soeur et lui, au tout début des années 50. Aucun des trois enfants ne voulait cette assiette pour lui, au prétexte qu'elle aurait servi, quarante ans plus tôt, au chat qui avait colonisé l'appartement, du temps de leur grand-père.
Mais les souvenirs minuscules sont-ils si minuscules que ça ?
Un fil a beau être ténu, il peut, tel une corde de rappel, faire surgir des brumes du passé des pans entiers de l'histoire familiale, en révéler les secrets, et finir par éclairer peut-être les attitudes longtemps jugées inexplicables des aînés...
Pourquoi son père restait-il silencieux, à table, alors qu'à six ans, il devait se rappeler les exploits de la petite chatte ? Que craignait-il ou voulait-il effacer ?
Une femme avait veillé sur lui, dès son enfance, Clarisse, amoureuse éperdue de sa mère, et qui ne cessera, sa vie durant, d'inonder de son amour et de son dévouement, les générations successives des Vitoux. Il ne parlera jamais de Clarisse.
Et qu'éprouvait-il pour Odette, cette petite fille élevée auprès de lui dans le même appartement familial, fille naturelle de la domestique de ses parents, qui leur avait confié l'enfant ? « Soeur de lait » de son père, comme expliquait à Frédéric sa mère, pour justifier son statut au sein de la famille ? Ou demi-soeur tout court de son père, se demande-il aujourd'hui...
Ces deux portraits de femmes hors du commun, aux destins assez parallèles, éclairent ces secrets de famille qu'une modeste « assiette du chat » réveille ici, et autour desquels la plupart des écrivains rôdent, un jour ou l'autre, comme pour se trouver eux-mêmes.
Ce "dictionnaire amoureux des chats" est un libre vagabondage rieur, savant mais surtout passionné, truffé de mille anecdotes dans l'univers enchanté des félins.
" Dans l'arbitraire enchanté de mon amour des chats, je n'ai voulu négliger aucune discipline. Ni aucun aveu. J'ai tenu à évoquer les chats dont j'ai eu l'honneur de partager la vie. Je me suis efforcé de n'oublier aucun des livres que j'ai aimés et où les chats ont joué un rôle à mes yeux prépondérants. Cinéphile, j'ai resongé bien sûr aux films où les matous jouaient les stars ou les rôles de composition... Mais n'insistons pas ! J'aimerais que le lecteur ouvre, s'il le désire, ce livre un peu au hasard, pour aller de surprises en surprises, de portraits en anecdotes. Qu'il soit complice en somme de cette promenade dans un domaine qui relève aussi de la plus haute civilisation ? car l'homme, en un sens, s'est vraiment civilisé quand il a accepté le chat à ses côtés, tel un libre compagnon, un associé, et non pas un animal domestique ou domestiqué, ce que celui-ci n'a jamais voulu être... " F.V.
L'ours, c'est le sculpteur Etienne Maurice Falconet, auteur de la statue équestre de Pierre Le Grand à Saint-Pétersbourg.
Le philosophe, c'est Diderot qui intervint avec empressement auprès de Catherine II pour que son ami bénéficiât de cette commande qui allait assurer sa célébrité dans toute l'Europe.
A travers leur amitié, leur correspondance et leur longue querelle épistolaire autour de la notion de postérité, Frédéric Vitoux restitue ici une époque et des hommes essentiels de l'histoire des idées (L'Encyclopédie et ses artisans, Diderot, d'Alembert, Rousseau, Voltaire, ou le trop méconnu chevalier de Jaucourt). A la faveur de rapprochements et de digressions (cet art dans lequel excella Diderot qui se comparait lui-même à un chien de chasse mal dressé), ce sont des moments de sa propre vie qu'il mêle à la matière de son essai , ce qui lui permet de s'exprimer mezza voce sur le débat qui, en son temps, nourrit l'amitié des deux hommes et aboutit à leur rupture.
Falconet ne croyait pas à la postérité tandis que Diderot plaçait en elle tous ses espoirs. Ces options antagonistes trahissent le caractère des deux hommes : Falconet misanthrope, farouche, pessimiste, d'une probité artistique sans faille, mais volontiers brutal (on l'accusera, à tort du reste, d'avoir poussé l'un de ses élèves au suicide par ses jugements intransigeants à son égard), s'aliénant en Russie tous ses interlocuteurs, et pour finir ingrat. Diderot infatigablement dévoué à ses amis, affectif, optimisme et altruiste.
Leur fervente amitié se dissipa donc dans la rancune et la défiance en raison de plusieurs maladresses du sculpteur, son refus de tenir sa promesse de recevoir Diderot sous son toit, à Saint-Pétersbourg, quand le philosophe se décida enfin à entreprendre ce long voyage qu'espérait et attendait l'impératrice Catherine II depuis si longtemps mais aussi parce que Falconet laissa publier, sans l'aval de Diderot, leur correspondance.
De Russie, Diderot rentre désabusé de son rêve philosophique consistant à convertir Catherine II aux Lumières ; Falconet, lui, claquera la porte et n'assistera même pas à l'inauguration de son chef d'oeuvre.
Rien de désincarné dans cet essai. Le récit de l'amitié des deux hommes donne matière à des retours sur soi de l'auteur : l'île Saint-Louis qui lui est si chère, où vécurent aussi ses deux personnages ; des rencontres (Le Marchand ; Jorge Amado ; la création du Périscope de l'île Saint-Louis, qui fut l'occasion de la rencontre essentielle avec son épouse Nicole ; le beau portrait de l'ours Bernard Frank et du non moins ours Céline, plus amer et véhément à son retour d'URSS en 1936 que ne le fut Diderot en 1774 ; la découverte de la divagation d'un Laurence Sterne libérateur, l'auteur de Tristram Shandy dont l'influence fit déterminante pour l'auteur de Jacques le Fataliste...)
C'est l'histoire d'un restaurant populaire dans l'île Saint-Louis, où l'on prenait ses repas à même le marbre des tables et où la patronne présentait l'addition sur une ardoise. Son enseigne ne trompait pas : Au Rendez-vous des Mariniers...Au 33, quai d'Anjou, s'y donnèrent rendez-vous, de 1904 à 1953, les habitants du quartier, les patrons des péniches amarrées sur les berges et les blanchisseuses des bateaux-lavoirs tout proches...Nombre d'écrivains et d'artistes y trouvèrent aussi refuge et s'en firent souvent l'écho dans leurs oeuvres - de Jean de la Ville de Mirmont à Picasso, de John Dos Passos à Pierre Drieu la Rochelle, d'Hemingway à Aragon, de Simenon à Blaise Cendrars, etc. Et c'est encore là que dînèrent, un soir de mars 1933, François Mauriac et Louis-Ferdinand Céline - une rencontre entre deux romanciers que tout opposait !Frédéric Vitoux s'attarde en leur compagnie. Tout comme il fait revivre les trois propriétaires successifs de l'établissement, dont le destin n'est pas sans résonances avec celui de sa propre famille installée, à la même époque, à l'autre bout du quai, et où il continue d'habiter.Au Rendez-vous des Mariniers est une promenade chaleureuse, insolite et fragmentée dans l'histoire littéraire de la première moitié du XXe siècle et dans celle de l'île Saint-Louis, pour ne pas dire de la France tout court. « Peut-être, à la réflexion, ne se souvient-on jamais mieux que de ce que l'on n'a pas vécu. Ce sont ces souvenirs-là, indirects, qui sont les plus formateurs - et, qui sait, les plus impudiques. » Né en 1944, Frédéric Vitoux est romancier, essayiste. Il a récemment publié, aux Editions Fayard, Clarisse, Grand Hôtel Nelson, Jours inquiets dans l'Ile-Saint-Louis, Voir Manet, Les Désengagés, et, en coédition avec les Editions Plon, Le Dictionnaire amoureux des chats.
Une autobiographie parcellaire et subtile par recomposition fragmentaire du puzzle de la mémoire : non pas des Mémoires en majesté par ordre chronologique, mais une évocation de souvenirs autour desquels sont venues cristalliser des leçons de vie.
« Le bonheur en littérature ne consiste pas à gagner du temps pour aller à l'essentiel mais à perdre du temps pour parvenir à l'inessentiel. Autrement dit, à accepter d'être pris par surprise pour découvrir précisément ce que je n'avais jamais recherché » est-il écrit ici au détour d'un chapitre : c'est la meilleure définition du bonheur que l'on ressent à la lecture de ce récit.
Chaque court chapitre convoque un souvenir qui ouvre une parenthèse, une digression, un décentrement.
Le premier d'entre eux, « précieux parce qu'indistinct » : une visite à son père détenu après-guerre à la prison de Clairvaux (on en saura plus, par la suite, sur ce père frappé de la maladie d'Alzheimer à la fin de sa vie)
Cette période de la guerre est très présente, de la silhouette unijambiste du gardien de l'hôtel de Lauzun qui dénonça Christian de la Mazière à la Libération à Lucette Almanzor en butte à la question désinvolte d'un visiteur (« En deux mots, Céline, c'est quoi ? ») en passant par Lisette de Brinon contrainte d'assister à l'exécution de son mari Fernand de Brinon, qui l'avait protégée en la faisant nommer « aryenne d'honneur ».
Une réflexion de Vittorio Gassman racontant qu'une miette de pain collée à la lèvre d'une jeune femme a sonné le glas de leur liaison inspire à l'auteur une réflexion sur la fin de l'amour.
Une phrase prononcée par Ginger Rogers dans le film La fille de la 5ème avenue (« les riches sont juste des pauvres avec de l'argent ») constitue un des Rosebud du texte : l'écart social entre ses parents et la plupart de leurs amis, entre le monde des riches et celui des pauvres, celui de la désinvolture héréditaire et du mérite forcené (de très jolies scènes sur une victoire inespérée lors d'un championnat d'académie d'escrime contre un adolescent béni des dieux, ou sur Antoine Ménier, de la famille des chocolats Meunier, ami d'enfance de son parrain snob, développent par touches cette thématique du déclassement...)
Comment « le contrat de confiance entre la langue et lui » a été rompu par la découverte des « pommes mousseline », le rôle qu'a joué l'opus III de Beethoven dans son éveil à la musique, tel tableau de Goya dans son éveil à la peinture, la folie du cinéma et la menace de la cécité, l'expérience en usine, la découverte des livres et des écrivains, l'amour de sa vie et les amitiés à éclipses (« on perd ses amis d'enfance comme on perd son enfance »...) sont quelques-uns des motifs pris dans cette tapisserie du souvenir.
« Au retour d'un voyage aux Indes, en 1898, le poète Henry J.-M. Levet affirma à ses amis de Montmartre qu'il achevait un roman intitulé L'Express de Bénarès dont il évoquait devant eux les personnages ou les épisodes plus cocasses - mais personne n'en prit jamais connaissance. Levet l'écrivit-il vraiment ? Nous ne le saurons jamais. A sa mort en 1906, à l'âge de trente-deux ans, après quelques années passées comme vice-consul à Manille puis à Las Palmas, ses parents détruisirent ses lettres et ses manuscrits.
Pourquoi Levet, que j'ai découvert à l'âge de dix-sept ans, m'a-t-il si durablement obsédé ? Pourquoi ce jeune homme que chérissent depuis plus d'un siècle quelques centaines de lecteurs, d'une génération l'autre, comme pour perpétuer le cercle du poète disparu, et que nul n'aurait connu sans la persévérance de Fargue, son ami intime, et de Larbaud qui, après sa mort, entreprirent de rassembler et de publier ses poèmes, appartient-il ainsi à mon imaginaire - ou mieux, à ma vie ?
Partir à la recherche de Levet, le lire, le relire, retrouver ses paysages d'enfance à Montbrison, regrouper de rares témoignages, me plonger dans l'exubérante bohême montmartroise au tournant des XIXe et XXe siècles, m'interroger sur la personnalité contrastée de ce poète si solitaire, au physique ingrat, et qui égayait ses amis par ses tenues extravagantes, n'était-ce pas une façon de mieux me connaître moi-même ?
On en revient toujours là. »
F. V.
L'ami de mon père. Mon père, journaliste au Petit Parisien, a été arrêté au mois d'août 1944 et condamné pour " intelligence avec l'ennemi ". Après jugement, il a été détenu à la maison centrale de Clairvaux d'où il a bénéficié le 11 novembre 1947 d'une libération conditionnelle. Tels sont les faits irréfutables.
Mais cet " ami de mon père ", ce camarade de prison, cet homme dont j'appris qu'il s'était engagé à vingt ans dans la division Charlemagne pour combattre es russes sous l'uniforme allemand... et que je vis arriver un jour de l'été 1961, dans notre maison du Midi, au volant d'une Triumph décapotable, je me demande si je ne l'ai pas, pour une part, imaginé, afin de lui poser les questions qu'adolescent je n'avais posées à personne.
Jusqu'à ce que le temps adoucisse les blessures ou les impatiences de l'enfance. Ou que s'affirme le besoin d'écrire – cette façon de se détacher à jamais du passé.
Frédéric Vitoux
Dans cet essai passionné et vagabond, Frédéric Vitoux, obsédé depuis des décennies par le peintre d'Olympia ou du Déjeuner sur l'herbe, explore les secrets de cet homme dont ses proches aimaient l' « âme ensoleillée » mais qui cachait, barricadait même en lui tant de sombres secrets, sous une apparence irréprochable de grand bourgeois. Il interroge surtout son oeuvre si étrangement somnambulique qui mettait en fureur ses contemporains et qui n'a cessé, depuis, de déconcerter ses admirateurs. Voir Manet ! Tout est là...
1793. les cours européennes entrent en guerre contre la France Révolutionnaire. Mais à Florence, où se sont réfugiés les artistes chassés de l'Académie de Rome, le grand-duc accueille avec bienveillance François Rambault, chargé de mission par la République.
Ce récit d'une année politique à Toscane, où la douceur de vivre à l'abri de l'Histoire peut se révéler très illusoire, esquisse le portrait d'un homme des Lumières, d'un célibataire de cinquante ans attiré tout autant par les tableaux anciens (notamment par une " Esther pâmée devant Assuérus " qu'il a achetée à Livourne) que par les idées nouvelles, par l'Italie dont il rêve que par la Révolution qu'il défend et redoute.
Alors qu'il lutte contre les mouchards, les espions et les agents provocateurs acharnés à le déconsidérer auprès du grand-duc (est-ce là le propre du roman d'aventures ?), François Rambault va vivre auprès d'une jeune Anglaise maladive, la jolie lady Melcombe, toutes les étapes d'une passion amoureuse – l'unique sans doute de sa vie.
Une passion trop tardive pour lui, malmené qu'il est par la poursuite de l'âge et le reflux de l'Histoire. Mais pour elle ?
Après les émeutes du 10 août 1792 aux Tuileries, Charles Castier, blessé en défendant le roi, est hébergé par l'ambassadeur de Venise à Paris. C'est là qu'il rencontre Camille de Saint-Cergue, à peine sortie du couvent. L'idylle se noue. Mais à Venise, Camille se lie bientôt avec Leonardo Moretto, jeune patricien épris d'absolu...
La fresque s'agrandit brusquement : Bonaparte est au pont d'Arcole, diplomates et guerriers sont désormais aux prises. Devenus négociateurs, l'un au nom du Directoire, l'autre au nom de Venise, Charles et Leonardo symbolisent les affrontements du romantisme naissant et d'un monde classique déjà crépusculaire. Et Camille ressemble à Venise qui est au bord de l'effondrement : partagée jusqu'au drame, infiniment belle dans ses amours.
Grand Prix du roman de la ville de Paris 1992
Frédéric Vitoux, né en 1944, est critique littéraire au Nouvel Observateur. Il a publié des essais et de nombreux romans. Parmi ses derniers livres parus, on citera Charles et Camille, La Comédie de Terracina (Grand Prix du Roman de l'Académie Française, 1994), Esther et le diplomate, et Des Dalhias rouge et mauve. Il a été élu à l'Académie Française en décembre 2001.
" – J'aimerais que vous me parliez de ma mère. J'ai tout mon temps.
Alors, je lui parlai de sa mère, de ce que je savais de Suzanne. De son intelligence si rapide, si ironique. De sa bonne humeur et de son appétit de vivre. De nos fous rires pour un rien. Elle ne se plaignait jamais. Elle ne voulait pas vieillir. Elle lisait beaucoup. Ses jugements étaient sans appel. Je lui parlais peut-être aussi d'une Suzanne qui n'avait jamais existé. On se crée toujours des amis imaginaires. Je lui racontai l'histoire du disque soixante-dix-huit tours de mon enfance.
– Je n'ai pas le souvenir de l'avoir jamais entendue chanter, me dit-elle. "
Rossini l'homme pressé... Entre 1810 et 1829, il écrit quarante opéras, il court l'Italie d'une commande à l'autre, il compose des cavatines ou des duettos comme en se jouant, avec une impertinente gaieté et une idéale transparence mélodique qui ont masqué parfois son génie harmonique.
Rossini l'homme fêté... L'auteur du Barbier de Séville et de Guillaume Tell est sacré bientôt par ses contemporains le plus grand compositeur de son temps. Il a révolutionné l'opera seria. Le romantisme a trouvé avec lui ses premiers accents, alors que flamboyaient et s'éteignaient sous sa plume les dernières et sublimes vocalises d'un siècle, le XVIIIe, de haute civilisation.
Rossini l'homme silencieux... A quarante opéras succédèrent quarante années de silence. Pourquoi ?
Rossini l'homme trop longtemps méconnu... Qui se souvenait, il y a quelques années, de la Donna del lago qui préfigure déjà Weber, de la Pietra del paragone (comme la rencontre de Cosi fan tuttte et de l'opera buffa), des savants et somptueux operas serias composés pour l'opéra de Naples, comme Elisabetta, Maometto secondo ou Mosé in Egitto, sans parler de l'inoubliable redécouverte du Viaggio a Reims au début des années 80, cet adieu de Rossini à la folle et subtile gaieté italienne ?
Rossini-ci, Rossini-là... Grâce au festival de Persaro (ville natale de Rossini), à la création de nombreux opéras, aux nouveautés discographiques, l'actualité rossinienne bondit enfin depuis peu de découvertes en émerveillements.
Ce livre est là comme une synthèse, un portrait de l'homme, l'exploration d'une oeuvre enfin reconsidérée. "A force d'être heureux à la Scala, j'étais devenu une espèce de connaisseur", disait Stendhal. Ce livre est là aussi comme l'éveil d'un bonheur.
Il était une fois, dans le quartier Maubert, une femme transparente à force de banalité qui, tous les ans, revenait à la clinique vétérinaire du docteur Boubat pour faire opérer un chat de gouttière, tigré, aux yeux verts, âgé de neuf mois, qu'elle appelait invariablement Bouillon. C'était au début des années cinquante. Le temps a passé. Le quartier Maubert s'est rénové et la clinique a vieilli. Les souvenirs ont pâli. L'horreur s'est parfois teintée de nostalgie. Et le docteur Boubat attendait - vainement - un interlocuteur qui puisse s'approprier sa mémoire et la fixer.
La Mère coupable, c'est un peu le Vingt ans après de Beaumarchais. Figaro a vieilli depuis les temps heureux du Barbier de Séville et du Mariage de Figaro. En un sens, il a triomphé. La nuit du 4 août 1789 a aboli les privilèges. La chute du roi est annoncée, bientôt consommée. Rosine, la « mère coupable », a caché le secret sur le vrai père de son enfant, qui était Chérubin. Almaviva s'insurge contre les temps révolutionnaires. Un nouveau Tartuffe - un Tartuffe humanitaire, symbole de l'âge moderne - menace la paix de cette famille...
En bref, ce troisième volet si décrié, si négligé parfois (à tort ?), de la trilogie de Beaumarchais nous invite à considérer ses personnages, au premier rang desquels Figaro, non plus seulement comme des figures de théâtre dont l'existence se résume à une ou deux « folles journées » mais comme des héros inscrits dans l'Histoire, dans la durée, et dont on pourrait raconter la vie - une vie devenue romanesque.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
D'abord, en cet été 1976, la plaine lombarde écrasée de chaleur et, à l'horizon, décoloré sous un soleil de plâtre, le Palazzo Pedrotti.
À toute demeure fantastique, il faut au moins trois éléments. Un narrateur qui se laisse enfermer dans cet espace fictif. Des revenants qui le parcourent. Des peurs qui l'agitent. Autrement dit, un jeu de balancier entre présent, passé et futur...
Au Palazzo veille le comte Giuseppe Pedrotti qui vieillit auprès de son fantôme préféré, la sublime cantatrice Adélaide Belgioso qui s'enferma en 1817 avec l'un de ses ancêtres dans une petite île du lac de Garde. Deux autres femmes se joignent à la ronde : Lisa, qui tente d'arracher Giuseppe à sa rivale de l'ombre, et Henriette, torturée par une extinction de voix.
Les miroirs sont nombreux au Palazzo Pedrotti. Les reflets, les surprises, les apparitions et les découvertes aussi. Sur ses plafonds peints se disputent des amours joufflus et des muses alanguies. L'actualité italienne vient battre et mourir contre ses murs rococo. En toile de fond, la musique de Rossini et plus précisément la " divine partition de Tancrède " dont parlait déjà Stendhal...
Et toujours, comme une obsession, la canicule qui oppresse et ralentit l'action, la suspend dans son éternité romanesque.
F.V.
Côté cour, voici Henri Beyle qui a quitté Rome pour Naples et s'arrête à Terracina. Côté jardin, Gioacchino Rossini qui a quitté Naples pour Rome et fait étape dans la même ville frontière (c'était alors la limite du royaume de Naples). Au centre de la scène - ou du roman - une auberge et un palais. Au centre encore, un aristocrate en exil, son épouse trop frivole et sa cousine trop mélancolique.
Nous sommes en décembre 1816.
A trente-trois ans, Beyle n'a pas encore trouvé son pseudonyme de Stendhal, il parcourt l'Italie pour être heureux et pour être aimé des femmes - mais ce n'est pas chose facile ! A vingt-quatre ans, Gioacchino, qui s'appelle déjà Rossini, est le maestro le plus intelligent, le plus fêté et sans doute le plus aimé d'Italie - mais ce n'est pas de tout repos !
L'Histoire, après l'épopée napoléonienne, affiche un calme plat. Mais les individus au contraire, dans le feu croisé des dialogues, vibrent de leurs illusions amoureuses comme de leurs déceptions politiques.
En toile de fond, ombres plus dangereuses, des contrebandiers sillonnent les eaux du golfe, d'anciens soldats de Murat rançonnent les voyageurs, et des mouchards se retrouvent assassinés dans les canaux d'irrigation du port.
Tandis que sur le devant de la scène, en pleine lumière, les femmes restent toujours habiles à confondre amants et destinées avec une même ferveur.
En un mot, il s'agit d'une comédie.
Une jeune femme est retrouvée assassinée dans une chambre d'hôtel de Nice, sans papiers, sans passé, sans rien... Une autre femme, l'épouse d'un procureur adjoint de la République, s'amuse à mener l'enquête. Ne lui faut-il pas tromper son ennui, sinon tromper son mari ?
Entre l'insolente jeunesse d'Olga et la distinction vernissée de Blandine, il y a Jean-Louis, scénariste, romancier, célibataire par indolence plus que par conviction, qui se laisse trop facilement séduire par l'une puis par l'autre. Les femmes ne menent-elles pas toujours le bal, ou l'aventure ?
Après Charles et Camille et La Comédie de Terracina. Frédéric Vitoux nous offre un roman policier sur fond de mafia russe et de faux tableaux, une comédie sentimentale où un homme peut en cacher un autre, une chronique de l'été 95 dans sa torpeur estivale. La Provence, l'île Saint-Louis, l'Italie sont autant de décors chers à l'auteur, qui invitent à un vrai suspense et à cette légère ébriété romanesque sans laquelle il n'est pas de bonheur littéraire.
Il y a une tempête au centre de ce livre. Et l'action circule librement autour d'elle comme autour d'un point d'attraction, pourtant toujours tenu à distance. Les trois séries d'épisodes qui constituent la narration, les trois " cercles " découpés autour de l'orage, évoquent en fait les diverses étapes d'une même vie.
Avant l'orage : l'adolescence d'un garçon sans imagination qui s'apprête à rejoindre une école d'hydrographie. Déjà ses propres expériences signalent métaphoriquement les tempêtes qu'il aura à affronter. Pendant l'orage : lorsque le marin est confronté à la véritable tempête, dans le calme lénifiant d'une province anglo-saxonne. Après l'orage enfin : dans une maison de retraite où un marin achève ses jours.
Le thème initial qui a inspiré ces variations est tiré du célèbre roman de Joseph Conrad : Typhon. Tourner autour du Typhon comme le fait le navire - c'est-à-dire autour de l'action - ou le traverser, ce dilemme qui est au coeur du livre est aussi celui qui oppose le roman traditionnel au " pur " récit.
" Un chat c'est l'ensorcellement même, le tact en ondes... " notait Céline. Et Bébert, énorme matou tigré au maintien aristocratique et à l'intelligence prodigieuse, glouton et râleur mais toujours d'une " fidélité de fauve ", n'était pas, qui plus est, un chat ordinaire.
Abandonné par son premier maître, l'acteur de cinéma Le Vigan, longtemps vagabond dans Montmartre au temps de l'Occupation, il avait été recueilli par Céline et sa femme, et partagea leurs errances, leurs aventures, leur misère, leur exil. " Il se rendait compte de la tragédie. " On comprend que Céline en ait fait l'un de ces héros de ses derniers romans - ces chroniques hallucinées de l'Allemagne de la débâche -, et l'un des chats les plus célèbres de la littérature.
Oui, Bébert a bien tenu dans son oeuvre ce rôle de " Français à part entière " ont parlait Roger Nimier. Et plus encore, il a servi de révélateur pour l'écrivain quand il ne figurait pas tout simplement pour lui un modèle ou un miroir.
L'aventure du chat renvoie donc aux derniers romans de Céline, et ceux-ci projettent désormais une image quasi mythique de l'animal.
Ce livre - entre la biographie et l'essai - est au fond l'histoire d'une double fascination.
F.V.
En 1922, Yedda Godard, qui a franchi la Passe de Khyber, pénètre en Afghanistan... Quelques années plus tard, elle séjourne en Iran où son mari dirige les Services archéologiques. C'est une vie énigmatique, prestigieuse, exotique, aventureuse, qu'elle doit mener là-bas. Comment la suivre à la trace ? Je l'imagine en caravane, d'Alep à Bagdad, longeant l'Euphrate, couchant sous la tente ou dans des caravansérails, côtoyant les ruines de basiliques byzantines ou de forteresses macédoniennes... Ou bien attaquée par des nomades afghans... Itinéraire fabuleux que celui de cette vieille dame que j'ai connue barricadée dans son appartement du quai d'Anjou, et dont la gaieté, la malice, la générosité cachaient son attente angoissée de la mort. Le 4 août 1976, Yedda Godard succombait à une crise cardiaque. Elle avait quatre-vingt-sept ans. Et cette voisine que nous aimions, Nicole et moi, nous a légué sa bibliothèque qui la reflétait comme un miroir. Qu'en faire ?
Peut-être me fallait-il la lire et déchiffrer l'image tremblante qui se dessinait. L'image non seulement de Yedda mais aussi de ses tentatives pour arrêter le temps et se préserver de la mort. Et puis, à mesure que ses livres se confondaient avec les miens, ma propre image plus trouble encore que je risquais de retrouver. Fortuitement.
La Nartelle : un amphithéâtre de collines face à la Méditerranée, un domaine de cent hectares clôturé par un mur qui, avant 1914, servait disait-on de réserve de chasse au Kronprinz. Le 15 août 1944, les troupes alliées avaient débarqué sur la plage, juste en face. Et le narrateur d'aujourd'hui, pour qui La Nartelle fut un territoire d'enfance et de vacances, vient d'écrire un livre sur l'histoire de ce débarquement. À la faveur d'une tournée de signatures dans les librairies de la région, il retrouve des témoins, des visages, des émotions d'autrefois. Il songe à La Nartelle, au mur de La Nartelle et à ce qui se déployait au-delà de ce mur, dans la perspective énigmatique des collines des Maures, ce territoire inexploré, l'espace de l'imaginaire. Alors il arrive qu'une histoire succède à une autre histoire quand le présent se met à clignoter, avant de s'éteindre au profit d'une nouvelle fiction. Dans une bastide perdue dans les collines des Maures, en 1877, se sont réfugiés un jeune émigré roumain et une actrice hongroise. En arrière-plan, on surprend des trafics d'armes, des traversées de Marseille à la côte catalane, une révolte de bouchonniers, une épidémie de scarlatine, un duel, le bonheur fou et la tendresse rieuse de deux amants.
Sur la plage des Sardinaux, non loin de la villa Sémiramis où vivent, reclus, une femme trop mélancolique, un vieillard aux inquiétantes lubies et une domestique asiatique, le cadavre d'un homme s'est échoué. Jean-Louis, qui vient d'avoir quatorze ans, est témoin de la scène. Sa première confrontation physique à la mort. Il court en avertir une journaliste stagiaire au bureau du Méridional, à Sainte-Maxime, non loin de là...
Nous sommes en septembre 1954. Les fantômes de la guerre et de l'Occupation semblent définitivement s'éloigner. À tort ? Sur la Côte d'Azur, les jeunes filles s'émancipent, elles apprennent à saluer la tristesse d'un bonjour désinvolte.
Pour Jean-Louis, ces derniers jours de vacances ont l'allure d'un adieu à l'enfance, d'une première éducation sentimentale et d'une folle aventure policière dont il s'imagine le héros - ou l'enquêteur.
En bref, cette Villa Sémiramis est un livre nostalgique et gai. Une pure fantaisie romanesque. La confidence d'une jeunesse resongée.
Un paisible avocat, veuf depuis longtemps, retiré dans l'Île Saint-Louis, enclave
villageoise au coeur de Paris, chargée d'histoire mais sans histoires, est témoin d'une
agression perpétrée en pleine rue par un inconnu. Ce fait divers fait irruption dans sa vie et le
bouleverse. Le suspect ne serait-il pas cet individu qui ne cesse de le poursuivre jusqu'à son
domicile, de le harceler pour lui extorquer de l'argent ? Au même moment, la présence d'une
jeune femme vient comme un antidote adoucir son cauchemar, égayer sa vie de célibataire
d'un dernier flirt sans illusions.
La paix reviendra-t-elle dans l'île que la colère des manifestants et des défilés
populaires, en cet automne 2010, ne semble pas inquiéter ?
On sort de ce roman intrigant, léger et profond à la fois, comme d'un film de Claude
Sautet.Né en 1944, Frédéric Vitoux est essayiste et romancier. Il a récemment publié aux Editions
Fayard Clarisse, Grand Hôtel Nelson, et, en coédition avec les Editions Plon, Le Dictionnaire
amoureux des chats.