Face à Giacometti, et aux côtés de l'artiste, Jacques Dupin le fut souvent, qui lui rendit visite chaque semaine pendant treize ans. De cette amitié sont issus des textes, ici réunis pour la première fois, qui accompagnent et prolongent l'oeuvre.
Portraits d'un artiste au travail par un poète dont l'écriture éprouve la même exigence, les mêmes tourments, le même surgissement d'une présence séparée.
à l'extrême de l'écriture de la nuit rien n'arrête, et manquer la cible est un premier pas vers le fond de l'oeil à la fourche de la vie la croisée des certitudes qui se détruisent une phrase décapitée pour que tu sois nue
«Écrire n'est pas une fin / tout au plus un cadavre à déplacer / loin du bord». Ce nouveau livre de Jacques Dupin, le sixième chez P.O.L, et que six années séparent du dernier inédit, l'auteur laisse entendre lui-même qu'il est écrit dans l'imminence du désastre. Mais il rend aussi plus que jamais sensible ce chantier perpétuel où un magma informe de concrétions mentales le dispute à un fonds de langue issu de l'enfance et de la culture. Il accentue, avec encore plus de violence, un mouvement de l'écriture qui serait comme l'émancipation de cette lutte que se livrent l'obscur et le dicible.
Baudelaire disait que la poésie mène à la critique. Ce livre en est une vérification, une de plus. Jacques Dupin y réunit des textes qu'il a écrits sur d'autres écrivains, des poètes principalement. L'originalité de l'ensemble est qu'il fonctionne aussi comme un recueil de poèmes et, de fait, ces textes qui sont indéniablement des textes critiques sont aussi des poèmes. Comme si seule la poésie pouvait parler de la poésie, rendre présent son mystère sans pour autant essayer, vainement, de l'épuiser, sans l'enfouir sous une rhétorique universitaire inopérante. Une autre caractéristique de ce livre est que, si on y rencontre des auteurs et des oeuvres connus et célèbres (Blanchot, Ponge, Char, Jaccottet, Celan, du Bouchet, etc.), on y découvre aussi la curiosité constante et le goût de Jacques Dupin pour les écritures les plus risquées.
Cinq sections se partagent dans Écart le biographique de plus en plus apparent dans l'oeuvre de Jacques Dupin. Ici son enfance parmi les couleurs, les odeurs, les sensations les plus fortes et dans le mystère de parents si hauts. Son présent aussi que la maladie et la vieillesse qui meurtrit intensifient et que l'amour de la peinture exalte.
Prose qui tient le poème à distance, parole de douleur, déchirée, plus cruelle encore d'aller se nourrir aux premières images de l'enfance et d'en revenir, désespérée, pour «écrire entre les pattes de cette tarentule millénaire. Être son comptable et son amant. Le cireur obséquieux de ses botillons glacés.» Cette écriture questionnée dans l'image du ver à soie et dans l'appel réitéré vers l'infinitif «écrire», écriture qui est marche, métamorphose, questionnement de notre ignorance.
Ce volume est la réédition de deux livres autrefois publiés par Jacques Dupin chez Fata Morgana (1983, 1986). On y trouve déjà, bien sûr, cette manière d'écrire si particulière : «Lyrique, à voix basse, et raucité», propre à cet écrivain qui charge tant d'énergie dans la parole du poème que cela produit «dans la langue un effet d'obscurité qui, paradoxalement, communique au lecteur - heurté, bousculé, choqué dans ses habitudes par l'énigme d'un sens en état de spasme perpétuel - cette violence où l'oeuvre d'art semble trouver sa dangereuse origine» comme a pu le dire le critique Yves Charnet.
Rien. Contumace. La poésie. Perdue, consumée... Ou bannie. Tenue à l'écart, dans ses propres marges. Dans la soute. Dans le soleil... Soustraite au jeu du monde. Inéchangeable au cours des monnaies. Massacrée sans laisser de cadavre. Devenue illisible et blanche, à incorporer l'intensité de la vie, la pulsion des gisements, le battement de la langue. Sans origine et sans fin. Imprenable, comme sont les racines et les ruines. Intouchable, comme est le feu... Dans le souffle un peu de poussière envolée qui fixe, un court instant, une autre lumière... Contumace, au-dessus des cendres, un scintillement de pollen...
Âpre et retenue, mais rageuse, violente, tout entière dans l'intensité de ses fragments, la poésie de Jacques Dupin s'adosse à la précarité de l'homme et de sa langue pour fouiller la mort, la disparition, le corps souffrant et désirant, bien en amont de toute subjectivité particulière. Une écriture sous tension. Ce nouveau livre poursuit et mène plus loin encore la mise à nu de l'écriture et la mise à l'épreuve du sujet qui sont au coeur de la démarche de l'auteur.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.