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Sciences humaines & sociales
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L'avenir des simples ; petit traité de résistance
Jean Rouaud
- Grasset
- Littérature Française
- 4 Mars 2020
- 9782246821953
On a bien compris que l'objectif des « multi-monstres » (multinationales, Gafa, oligarchie financière) était de nous décérébrer, de squatter par tous les moyens notre esprit pour empêcher l'exercice d'une pensée libre, nous obligeant à regarder le doigt qui pointe la lune, ce qui est le geste de tout dictateur montrant la voie à suivre, de nous rendre dépendant des produits manufacturés, des services et des applications en tout genre, nous dépossédant ainsi de notre savoir-faire qui est leur grand ennemi, un savoir-faire à qui nous devons d'avoir traversé des millénaires, du jardinage à la cuisine en passant par le bricolage, l'art savant de l'aiguille et du tricot et la pratique d'un instrument de musique au lieu qu'on se sature les oreilles de décibels. Reprendre son temps, un temps à soi, reprendre la possession pleine de sa vie. Et pour échapper à l'emprise des « multi-monstres », utiliser toutes les armes d'une guérilla économique, montrer un mépris souverain pour leurs colifichets : « votre appareil ne nous intéresse pas », graffite le capitaine Haddock sur un mur. Contre les transports, la proximité des services, contre l'agriculture intensive empoisonneuse, des multitudes de parcelles d'agro-écologie, ce qui sera aussi un moyen de lutter contre l'immense solitude des campagnes et l'encombrement des villes, contre la dépendance, la réappropriation des gestes vitaux, contre les heures abrutissantes au travail, une nouvelle répartition du temps, contre les yeux vissés au portable, le nez au vent, et l'arme fatale contre un système hégémonique vivant de la consommation de viande, le véganisme. Car nous ne sommes pas 7 milliards, mais 80 milliards, à moins de considérer que tout ce bétail qui sert à engraisser nos artères ne respire pas, ne mange pas, ne boit pas, ne défèque pas. Il y a plus de porcs que d'habitants en Bretagne, et quatre-vingt pour cent des terres cultivées dans le monde le sont à usage des élevages, pour lesquels on ne regarde pas à la santé des sols et des plantes. Renoncer à la consommation de viande et des produits laitiers, c'est refroidir l'atmosphère, soulager la terre et les mers de leurs rejets toxiques, se porter mieux, envoyer pointer au chômage les actionnaires de Bayer-Monsanto et en finir avec le calvaire des animaux de boucherie pour qui, écrivait Isaac Bashevis Singer, « c'est un éternel Treblinka ».
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Quand le ton a monté sur la question du voile et du menu de substitution, il m'a suffi de me retourner pour revoir dans mon enfance ce geste des femmes se couvrant la tête d'un fichu avant de sortir. Nous étions en Loire-Inférieure et la loi de 1905 était suffisamment accommodante pour accorder un jour férié aux fêtes religieuses et servir du poisson le vendredi dans les cantines, et pas seulement celles des écoles libres. Loi de séparation des Églises et de l'État, mais en réalité de l'Eglise catholique et de l'État, les autres faisant de la figuration, et l'Islam n'existant pas puisque les musulmans d'Algérie n'avaient pas le statut de citoyen. De même, il a fallu la tragédie de Charlie pour nous rappeler qu'on avait longtemps débattu avant d'autoriser la représentation des figures sacrées. Ce qui n'allait pas de soi tant le monothéisme se méfiait de l'idolâtrie en souvenir du veau d'or. Les conciliaires réunis à Nicée tranchèrent en faveur de la représentation. C'était en 843. Notre monde envahi d'images vient de là. Ce qui n'en fait pas un modèle universel.
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Casimir Mondon-Vidailhet, pionnier de l'amitié franco-éthiopienne / Pioneer of the French-Ethiopian friendship (1847-1910)
Alain Rouaud
- Centre français des études éthiopiennes
- 28 Juillet 2016
- 9782821872288
Trois Français ont joué à des titres divers un rôle important aux côtés de l'empereur Ménélik (1889-1913) : Léon Chefneux, homme d'affaires, Casimir Mondon-Vidailhet, « agent officieux » du gouvernement français et Léonce Lagarde son premier représentant officiel. Ni la vie, ni l'oeuvre d'aucun de ces trois hommes n'ont à ce jour été l'objet d'études approfondies. Les papiers laissés par Lagarde et Chefneux n'ont pas été publiés et peu utilisés. Quant à Mondon-Vidailhet, il a disparu sans laisser de traces à en croire les auteurs d'un article paru en 1969 qui écrivaient : « Il semble donc que la personnalité de Mondon n'ait pas laissé de trace soit dans l'actualité, soit dans le monde scientifique ». Sa biographie était alors assez floue, son influence sur les événements du règne de Ménélik assez incertaine et ses oeuvres, pourtant nombreuses, suffisamment oubliées, pour que cette opinion ait semblé raisonnable. Les recherches relatives à Chefneux et à Lagarde sont au point mort. En revanche, l'utilisation de nouvelles données relatives à Mondon-Vidailhet (il s'agit principalement d'une note rédigée par son frère Stanislas) a permis d'obtenir depuis quelques résultats que l'on trouvera consignés dans ces lignes.