À 15 ans, Jean-Pierre Brouillaud apprend incidemment qu'il va perdre la vue. Comme pour répondre à l'angoisse de sa mère qu'il ne puisse pas avoir " une vie normale ", il se révolte et part sur les routes. Sexe, drogue, rock'n'roll et chemins de Katmandou, Jean-Pierre Brouillaud n'aura de cesse de se prouver que la cécité n'est pas un obstacle aux découvertes et aux rencontres. Il revient sur ce que lui ont apporté ses voyages – notamment en Asie, en Afrique, en Amérique latine – et nous fait véritablement voir le monde à sa façon.
" Un homme, quand il est enfin en paix avec lui-même, a, même s'il est aveugle, un regard d'aigle. "
Jean-Pierre Brouillaud
" Jean-Pierre Brouillaud est un concentré de vie à l'état pur ; une exception en ces temps où gagne l'insignifiance. "
Patrice Franceschi
Jean-Pierre Brouillaud vit en Ardèche. Il relate depuis plusieurs années ses voyages dans son blog, " L'illusion du handicap ".
Dans l'espace clos d'une chambre, le temps d'un voyage, d'une conversation, d'un aveu, d'une erreur ou d'un rêve, une crise s'est nouée, un mouvement d'horlogerie s'est mis en marche et ne s'arrêtera qu'une fois le cercle refermé. Souvent, sur le ton familier de la confidence, le narrateur nous prend directement à partie. Il se veut affable et méticuleux. A nos risques et périls, nous l'écoutons. Nous avons pénétré à l'intérieur du cercle ; de prime abord, nous n'avions guère remarqué que l'aspect quotidien, presque rassurant, des choses et des êtres. Mais nous avions aussi, au passage, noté ce détail suspect, incongru. Et déjà, plus que témoins, nous voici complices. Le quotidien, sous le poids de l'angoisse, bascule dans le fantastique, le cocasse vire au tragique, les objets se hérissent de pointes acérées, le refuge est un piège. Les acteurs ont changé de visage. Il serait réconfortant d'affirmer que nous ne les connaissons pas, de les abandonner aux embûches dont ils jalonnent leur chemin. Car ils iront jusqu'au bout. Ils n'ont pas de recours. Ils n'ont qu'une revanche sur leur univers, celle de la lucidité et de l'humour. Et nous devons nous convaincre que leur visage découvert, pour singulier qu'il soit, ne nous est nullement inconnu : il est, aussi bien, le nôtre. Ce premier livre de Pierre-Jean Brouillaud, né en 1927, nous présente un univers parfaitement ordonné, mais où tout, à chaque instant, peut se précipiter dans le chaos. Une exceptionnelle maîtrise rend cet univers encore plus précaire et envoûtant.
Une bonne maison : c'est ainsi que le narrateur nous présente l'établissement où ses jours s'écoulent, lents, paisibles, paresseux. Autour de lui, au pas de promenade, défilent ses compagnons. Que pourrait-il leur arriver ? Tous sont parvenus au-delà de l'évènement. Alors, durant cinq journées, cinq conversations à bâtons rompus, assez pour restituer une vie, un homme se souvient et rêve. Peut-être rêve-t-il plus qu'il ne se souvient. Il triche aussi. Il le sait. Il le dit. Jamais il n'a séparé l'imaginaire du vécu : il est, en cela, fidèle à son rôle de narrateur. Il ébauche un bilan possible, hésite, se reprend, rature, surcharge, gomme. L'homme qui n'a jamais su dire non - tel est le trait par lequel il se résume - jette sur le monde qui l'entoure, et sur lui-même, un regard dont l'ironie n'exclut pas la tendresse. Comme sans le vouloir, il cerne sa fuyante identité face aux témoins de son passé : parmi eux, surtout, cet encombrant partenaire qui n'a point cessé de croiser son chemin et d'imposer la comparaison. Bien qu'ils ne se ressemblent guère, une vocation commune les unit. Leur partie s'est jouée en plusieurs manches. Qui remportera la belle ? Car l'homme qui n'a jamais su dire non essayera pourtant de se défendre, avec les armes dont il dispose. Il se définit aussi par rapport à ce nouveau témoin, auditeur complaisant, auquel il se lie, de jour en jour, par ses réticences autant que par ses révélations. Mais, quels que soient les détours capricieux, les alibis du monologue, les faits demeurent : l'irréfutable réalité de l'établissement, le visage multiplié de la solitude, le présent qui se rétracte d'heure en heure, l'avenir posté à l'affût. Pierre-Jean Brouillaud poursuit ici l'enquête ouverte avec les récits qui composaient « La Cadrature ». C'est le même univers où il nous invite à pénétrer, sans nous départir de notre vigilance, l'oeil aux aguets. Trop de périls surgissent, d'autant plus insidieux qu'Ils sont quotidiens.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.