Parti pris fut, à l'heure de la Révolution tranquille, ce que Refus global avait signifié, quelque quinze ans plus tôt, pour les créateurs vivant la période duplessiste : une contestation radicale et un refus de se cantonner dans « la seule bourgade plastique » (ou littéraire), cette valeur-refuge qu'a longtemps représentée l'oeuvre d'art au Canada français. Pour les rédacteurs de Parti pris, revue politique et culturelle qui s'engage à promouvoir simultanément l'indépendance, le laïcisme et le socialisme, écrire devient une tentative de s'identifier à « la chair vive d'un peuple » ainsi que la revendication d'une « responsabilité entière ».
Éloignées ou proches de Paris - et la distance n'est pas que kilométrique - les littératures dites « périphériques » de Belgique, de Suisse, du Québec, des Caraïbes, d'Afrique... subissent de multiples formes de domination mais y trouvent aussi leur « chance ». Celle-ci tient à une situation qui les contraint à s'affranchir ou à disparaître ; et donc à affirmer leur différence.
Dès lors, ces littératures dites mineures se soustraient aux forces majeures qui régentent, depuis Paris, le bon usage de la langue littéraire, mais tissent avec d'autres cultures et d'autres langues des imaginaires et des formes largement irréductibles aux modèles français. Les études rassemblées dans ce volume apportent une contribution historique et sociologique aux rapports entre langue et littératures à travers des exemples québécois et belges de langue française.
Langue majeure, au singulier, désigne le français dans toute sa puissance normalisatrice ; littératures mineures, au pluriel, les oeuvres qui se situent dans l'espace des Francophonies.
Jean-Pierre Bertrand, professeur à l'Université de Liège et président du Centre d'Études québécoises, est spécialiste de la littérature fin de siècle en France et en Belgique francophone, et sociologue de la littérature.
Lise Gauvin est écrivaine et professeure à l'Université de Montréal, où elle dirige le Département d'Études françaises. Spécialiste des rapports langue/littérature, elle tient également une chronique des « Lettres francophones » dans le journal Le Devoir.
Quand un écrivain devient critique ou quand un critique fait oeuvre d'écrivain, en quoi se distingue leur pratique? À une époque où l'écriture est largement métafictionnelle, peut-on établir une véritable démarcation entre les oeuvres dites de fiction et la lecture accompagnatrice que constitue la critique? À ces questions, les collaborateurs du numéro, eux-mêmes écrivains-critiques pour la plupart, tentent de répondre en déployant les multiples possibles du langage.
Pratique littéraire adoptée depuis le Moyen Âge et choyée particulièrement par les érudites et les lettrées de la Renaissance, la réécriture est une manière de faire sa révérence aux prédécesseurs en revisitant la matière littéraire canonique. Tenant pour acquis que la réécriture est le déplacement / détournement d'une oeuvre par une autre, il s'agit de voir en quoi les nouveaux textes ainsi produits se démarquent des textes antérieurs et quelle(s) lecture(s) critique(s) en font les auteurs. « Réécrire au féminin : pratiques, modalités, enjeux » se propose d'examiner les diverses formes de ce phénomène littéraire, afin d'en identifier les enjeux et les visées. Au coeur de ces interrogations se trouve la réécriture comme effet de lecture qui révèle chez bon nombre d'auteures contemporaines une double démarche de déconstruction des modèles générateurs et de leur reconstruction sous d'autres signes.
Cet ouvrage au titre ambitieux constitue moins un état des lieux qu'une interrogation sur un genre protéiforme dont l'expansion semble illimitée et qui occupe de plus en plus la scène littéraire. La première question concerne la notion de francophonie elle-même, ensemble hétérogène et extrêmement complexe. En effet, comment désigner les diverses littératures francophones sans les marginaliser ou les exclure, tout en prenant acte de leur statut singulier? L'écrivain francophone doit composer avec la proximité d'autres langues, avec une première deterritorialisation constituée par le passage de l'oral à l'écrit et avec cette autre créée par des publics immédiats ou éloignés. Condamné à penser la langue, il doit aussi penser les formes par lesquelles le monde se donne à voir ; son oeuvre, en jouant sur les codes des différents horizons culturels, devient une reconfiguration de la littérature.
Qu'apporte le roman francophone à la forme roman? Quels en sont les modèles et de quelles manières s'y inscrit le palimseste? Quels types de rapports se sont créés entre ce genre d'origine européenne et les nouvelles littératures de langue française? Quelles redéfinitions ont été proposées et comment s'y décline le contemporain? Quel(s) savoir(s) véhicule-t-il? Dernière question, mais non la moindre : le roman, en tant que genre, n'est-il pas par définition suspect? Au lecteur d'en décider.