Dans ce récit lumineux et poignant, l'auteur évoque son enfance de jeune Français d'Algérie à travers son ambivalence originelle d'homme entre deux rives et deux religions : situation qui lui valait d'être qualifié d'imposte. De son enfance en Algérie, le narrateur se rappelle la lumière, la chaleur. Mais aussi le décalage qui distingue la vie stricte et pieuse d'une famille juive, et la liberté, la légèreté de la vie en métropole d'où vient sa mère. Le contraste entre un monde traditionnel et réglementé, et un monde ouvert aux infinies possibilités, aux espaces étendus, est saisissant.
Différences de milieux sociaux, de langues, de filiations, tiraillement entre l'attrait pour la France, vécu comme une forme de dépossession, de renoncement au judaïsme, et le devoir de maintenir l'ancrage initial, tout dans ce roman de formation évoque l'ambivalence et le sentiment d'illégitimité.
Lorsque la guerre éclate, le héros choisit l'Algérie française à laquelle son père ne croit pas. L'élève moyen qui ne parvient pas à avoir son bac se retrouve dans un camp de rétention, mêlé à des gens qui ne sont pas les siens, arrêté pour une cause à laquelle il ne croit plus.
Conflit insoluble : le narrateur voudrait être Juif mais il bute sur cette association des contraires. Il n'est pas si difficile de devenir professeur, il suffit d'y mettre le temps. On peut, lorsqu'on vient d'un milieu pauvre, apprendre les bonnes manières, il suffit d'observer les autres. Mais être Juif ?
Comme les autres Républiques, la Cinquième a perdu dans les épreuves sa cohérence et son identité. Son fondateur avait une ambition : restaurer la volonté et la légitimité politiques, placer à la tête de l'Etat un chef qui retrouve dans une relation intime avec le peuple la mission universelle de la France. Il voulait concilier ce qui passe pour exclusif et contradictoire : la représentation d'une société divisée, l'incarnation d'une nation unifiée sans laquelle rien de grand ne peut se faire. C'est le sens et l'originalité de son projet, que les juristes ont toujours eu du mal à désigner : la Constitution, telle qu'il la voulait, était le contrat, inclassable parce qu'inédit, que le chef concluait avec un peuple imparfait.Un tel régime ne pouvait fonctionner que sous le signe de l'extraordinaire. Après le règlement de la question algérienne, il a fallu transiger, composer : les successeurs du général de Gaulle ont revendiqué des pouvoirs que le fondateur lui-même dédaignait. Et dans cette recherche sans mesure, c'est le projet des origines qui s'est abîmé. La Ve République n'est plus aujourd'hui le beau régime, moderne, loué de toutes parts, qui avait assuré la stabilité des institutions. Prise dans les contraintes du quotidien, elle paraît condamnée à fonctionner de manière chaotique, au gré des concordances et des discordances de majorités. Sous d'autres formes, elle a retrouvé les travers de la IVe République. C'est l'évolution que considère cet essai, le premier à retracer toute l'histoire de la Ve République à la lumière d'une interrogation sur la logique de ses transformations.