Le Matachin, c'est ce quartier de Salins, à la fois « le plus pauvre et le plus pittoresque » de la ville, avec ses petits commerces et ses maisons décrépites, et où jadis un seigneur installa son chenil, sa « meute à chiens » selon l'expression populaire, d'où le nom du quartier. C'est ici, dans la seule maison vraiment coquette du quartier, que vit la douce et belle Fifine, avec son père Josillon, le vigneron. Entre ses travaux de couture et ce père qui l'adule et l'entoure de mille prévenances, Fifine a tout pour être heureuse, et le mariage est la dernière pensée qui lui vienne à l'esprit. Pourtant, n'a-t-elle pas remarqué, l'autre jour, une bien curieuse chose, qui est venue troubler ses certitudes ? Que signifiait cette tache bleue, fugacement aperçue de sa fenêtre, dissimulée au milieu des vignes ? Cette tache bleue, c'était la blouse de voiturier que porte le Grand Manuel, un garçon aussi costaud et vaillant qu'il est timide. Manuel aime Fifine en secret, et se désespère, car il ne se sent pas digne de la jeune fille. Comment ! Lui, le voiturier, qui s'échine au transport ingrat des coupes de bois à destination des chantiers de marine ; lui, qui a fait le désespoir de sa mère, la Jeanne-Antoine, en choisissant cette existence tumultueuse de grand chemin ; lui, dont les collègues sont perdus de réputation auprès des habitants de Salins, qui les tiennent pour des rustres, des voyous même, qui passent leur temps à boire et à se bagarrer ; lui, Manuel, il épouserait Fifine, si délicate, si distinguée, si prévenue contre les gens de son métier, si rétive aux fiançailles ? Et pourtant... Peut-il être sûr qu'il n'arrivera pas à la séduire ?
Dans ce roman de terroir touchant et convivial, le lecteur, tout en suivant la quête amoureuse de Manuel, tombera sous le charme de ce quartier du Matachin au milieu du XIXe siècle, avec ses habitants hauts en couleur et au grand coeur, admirablement croqués par la plume de Max Buchon.
Il est dix heures du matin. On est au mois de mai. Il Fait un temps superbe. Le mont Poupet se carre au loin dans ses broussailles verdoyantes, comme un bon bourgeois tout heureux de pouvoir enfin montrer aux gens le joli paletot d'été que vient de lui rapporter son tailleur. La bise souffle sans relâche, mais caressante et douce comme une bise de printemps, et chacun s'empresse de l'aspirer par tous ses pores et par toutes ses fenêtres, car en passant à travers les grands tilleuls fleuris de la promenade Barbarine, elle a eu soin de s'y parfumer de son mieux, avant de venir souhaiter le bon jour aux gens de Salins.Fruit d'une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.