« Nous autres, enfants de l'Europe des riches, qui a produit Auschwitz, nous qui passons pour des êtres civilisés, vivant dans une paix apparente depuis plus de soixante-dix ans, nous pensions être sortis de tout cela. Et aujourd'hui que le monde en est réduit au sauve-qui-peut, aujourd'hui que la grande fuite a commencé, nous sommes encore tout imprégnés du sentiment déraisonnable d'être étrangers aux désastres qui nous environnent. »
Face à tant de violence destructrice, d'où pourrait bien venir un élan de reconstruction de l'Europe ? Qu'y a-t-il encore d'authentique dans un Occident submergé par le matérialisme ? Pourrons-nous nous rétablir sans avoir besoin d'autres guerres et catastrophes ?
À l'urgence de ces questions, Paolo Rumiz cherche une réponse dans les lieux et parmi les personnes qui continuent de tenir le fil des valeurs essentielles. Ce sont les disciples de Benoît de Nursie, le saint patron de l'Europe. Rumiz les a cherchés dans leurs abbayes, de l'Atlantique aux rives du Danube, des lieux plus forts que les invasions et les guerres. À l'heure où les semeurs d'ivraie tentent de déchirer l'utopie de leurs pères, les hommes qui y vivent selon une « règle » plus que jamais valable aujourd'hui nous disent que l'Europe est, avant tout, un espace millénaire de migrations.
« Parti pour m'échapper du monde, j'ai fini, au contraire, par en trouver un autre. »
Huit mille kilomètres au fil des Alpes et des Apennins, cette colonne vertébrale de l'Europe. Paolo Rumiz nous embarque pour un voyage au long cours... De la baie de Kvarner en Croatie jusqu'au Capo Sud italien, il chevauche les deux grands ensembles montagneux de l'Europe, passant par les Balkans, la France, la Suisse et bien sûr l'Italie.
Parti de la mer, il arrive à la mer. Son récit navigue sur les cols et sommets dont les flancs plongent dans les ondes. Rumiz, devenu capitaine, nous élève vers ces montagnes qui naviguent. Il nous fait découvrir des vallées sans électricité, des gares de chemin de fer habitées par des mouflons, des bornes routières de légende, des bivouacs sous la pluie au fond de cavernes ; et puis des curés braconniers, des gardiens de refuge, des chanteurs à la recherche de leurs racines.
« Au fil de mes voyages, j'ai toujours rempli des cahiers. Or, à présent que ma liberté de mouvement a pris fin - peste oblige -, des pensées nouvelles jaillissent à flots. Les pensées sans bouger. Si nombreuses, que je suis obligé de les fixer sur un cahier. En mettant les haricots à tremper, je pense. En regardant par la fenêtre, je prends des notes. En faisant une pâte à pain, farine et levure, j'écris. Je crois bien que c'est un effet du silence. Sortis du tonnerre de l'excès, nous y voyons plus clair. »
Cloîtré chez lui à Trieste dès le 11 mars 2020, Paolo Rumiz a tenu son Cahier de non-voyage. Publiés chaque jour dans La Repubblica, ces textes ont un immense succès. Pleines d'empathie et d'espoir, ses paroles érudites résonnent comme une prière. Une « prière laïque », qui nous permettrait, comme l'espère l'auteur, de « remettre au goût du jour l'immense potentiel de rage et d'espérance qui succède aux grandes crises. »
« De notre aventure, je ne sais pas ce qui est resté le plus clairement imprimé dans mon esprit : les visages ou les paysages, les pierres que nous avons vues ou les atmosphères que nous avons flairées en chemin. Ce qui est sûr, c'est que ce voyage a été le plus terre à terre et en même temps le plus visionnaire de tous ceux que j'ai faits. Tandis que le poids de mon sac à dos m'ancrait fermement au sol, ma tête vagabondait parmi les nuages, à la manière d'un cerf-volant, et en même temps la bonne chère méditerranéenne provoquait d'appétissants courts-circuits avec l'Histoire. »
Dans cette bible voyageuse, Paolo Rumiz ressuscite la Via Appia, vingt-trois siècles après sa construction. Après six cent douze kilomètres et vingt-neuf jours de marche, Rumiz dégage cette voie légendaire des toiles d'araignées sous lesquelles l'oubli et l'incurie l'avaient ensevelie. Pas après pas, il nous conduit vers les merveilles cachées de la mère de toutes les routes, plus ancienne et plus variée que le chemin de Compostelle. Ce récit passionnant propose, pour la première fois, une cartographie complète de ce parcours mythique reliant Rome à la Méditerranée. En restituant la Via Appia au patrimoine européen, Paolo Rumiz espère « qu'une armée de voyageurs vienne à leur tour suivre ce fil d'Ariane qui serpente à travers les splendeurs de l'Italie méridionale ».
«Les vainqueurs des guerres modernes ont la mémoire courte, pour ne pas dire ossifiée. Faite d'arcs de triomphe, d'ossuaires glacés, de levers du drapeau, de trompettes, tambours et commémorations. Les vaincus, souvent obligés par l'histoire de commémorer leurs morts dans un silence craintif ou de remâcher un sentiment de culpabilité, conservent au contraire un souvenir intime et tenace.»
Parti sur les traces de son grand-père, officier triestin engagé durant la Grande Guerre sous le drapeau austro-hongrois, Paolo Rumiz nous entraîne vers le front de l'Est, ces terres glacées de Galicie, où coulèrent les premières rivières de sang de ce conflit meurtrier. C'est là, aux frontières de l'Ukraine et de la Pologne, qu'il recueille les témoignages des disparus. Allemands, Autrichiens, Italiens et Russes y murmurent la même langue, celle du sacrifice et de la mort brutale.
Du silence des plaines enneigées aux bruissements des cimetières de Galicie couverts de myrtilles, Paolo Rumiz livre un récit bouleversant, plein de compassion qui nous appelle avec un siècle de distance à décréter un armistice entre vainqueurs et vaincus.