Les amours comme les bateaux meurent et terminent leurs vies au cimetière.
QAUND IL S'APPROCHA du cimetière des bateaux, Robert Marsouin perçut les bruits de la marée et de la mâture. Les oiseaux, figés en plein vol, l'étonnèrent. En revanche, la vision lumineuse des trois cabines le réjouit.
Que la fête commence ! s'exclama-t-il en son for intérieur.
Roland Sadaune est peintre, et c'est par petites touches qu'il conduit avec talent son récit jusqu'à sa chute. Une histoire de faux-semblants et de voyeurisme à travers le tableau des amours mortes.
Les tribulations sexuelles conduisent le héros au cimetière de la passion amoureuse.
Un peintre en mal d'inspiration et d'amour vit d'expédients trompeurs...
AVEC SON MENTON SOUILLE DE ROUGE orangé et ses épaisses cuisses entrouvertes, elle faisait songer à une pute d'abattage avalant du kilomètre sans jamais avoir l'air absorbée. Son slip garance était fendu sur un sexe suggéré aux mèches poisseuses. Autant de claires agrafes qui sutureraient sa plaie, poursuivant la magie de leur nuit débridée.
- Planque ça ma coquine, se surprit-il à dire. T'es toute luisante sous le nylon et je me sens monter l'angoisse des profondeurs... Si on prenait une douche ensemble ?
Roland Sadaune, artiste peintre lui-même, brosse le portrait d'un drôle de zigue qui, faute d'avoir rencontré l'âme soeur, se complet dans le mensonge et l'artifice.
Pianiste de bar est un métier qu'on ne peut aimer qu'à la folie...
DEBAR, C'EST MON SURNOM. Je suis saxophoniste occasionnel, guitariste à mes heures et pianiste de vocation. Un type en « iste » comme dans lampiste. Bref, un employé subalterne du Stringate. Un point de suspension précédant le mot bar...
A force de nous seriner, soit on tire sur le pianiste, soit on l'enferme. Roland Sadaune s'adonne à son genre favori : la nouvelle noire, tantôt picturale, tantôt musicale, pour le plaisir des lecteurs.
Dans un Paris nocturne, la maraude d'un type qui veut se venger de son sort...
Je relève le col de mon cuir noir aux poignets râpés et ramène mon bonnet de laine sur mes oreilles. L'existence est mal foutue. Boulot à responsabilités, charrette de licenciés, femme qui plie bagage juste avant la débâcle, et c'est la dégringolade jusqu'aux Abysses, terminus métro Jaurès lignes 2, 5 et 7b. En prime la guitoune cartonnée siglée FRAGILE en bordure de voie d'eau artificielle. Je ne dois m'en prendre qu'à moi-même ? Un SDF sur trois est divorcé ou veuf, disent les statistiques, mais combien se sont fait larguer en accédant au chômedu ?
Roland Sadaune a le chic pour brosser en quelques phrase : Paris la nuit et ses ombres, ses figures haut en couleur et ses drames, le tout sur fond de crise économique.
Des photos suggestives tombées dans les mains d'un mari alcoolique et déprimé, la mécanique homicide se met en marche...
[...] Le bras en l'air, je regardai par transparence les négatifs. Je parvins à distinguer suffisamment pour être certain que, non, le photographe ne s'était pas planté une deuxième fois ! C'était bien elle, ma femme, ma gonzesse, ma ménopausée, avec sa chute de reins infernale se perdant sous la culotte brésilienne, qui s'exhibait sur la pellicule de douze. Je n'étais sur aucune des prises. Le grand brun avait dû se marrer. Il avait tiré la série, s'était agité avec, et m'avait refilé les plus sages. Le caddie, HS. Ma femme, une pute. J'étais passé à ses yeux pour un con !
Je réalisai. Son histoire de ménopause, une excuse comme une autre. Madame avait décrété l'embargo sur le zizi conjugal et s'offrait un voyou qui la photographiait à poil.
Roland Sadaune invente la romance en noir et en rousse : Eros et Thanatos au rendez-vous pour servir un cocktail mariant dérision acide et pulsion mortifère.
Fausse piste, faux semblant, les apparences sont trompeuses pour pister un serial killer de blondes.
« Il étudia la photo en noir et blanc. Pleine page. Du travail d'artiste. Vrai que la belle domptait la lumière, même les ombres éblouissaient. Il ignorait son identité, et ne cherchait pas à la connaître. Pour lui, elle était le énième de ces mannequins qui hantaient les médias. Il découpa la page avec précaution, reposa les ciseaux, et la hissa des deux mains jusqu'à ses yeux las. Qu'est-ce qu'elles ont toutes à prendre ces poses ? marmonna-t-il, accentuant son étude. »
On imagine le plaisir jouissif de l'auteur qui embarque le lecteur dans une fausse direction, avant d'obliger ce dernier à bifurquer sur une autre piste. Roland Sadaune possède cet art. Quand vous rajoutez la chute imparable, on tire son chapeau !
C'est la nuit de Noël qui brille de mille feux au cou de la richissime veuve... Un cadeau pour les gangsters...
L'assistance, assise et silencieuse, perçut les premières paroles de la prédication. Le signal pour Lancaster, qui se leva d'un bond, ouvrit son manteau, récupéra le masque à gaz et, tout en fonçant vers l'autel, le plaça sur son visage. Il devinait ses deux comparses faisant de même, à la surprise générale.
- Calmos m'sieurs-dames, c'est un hold-up. On ne bouge pas ! conseilla-t-il dans le micro, en maintenant écarté son masque.
Roland Sadaune possède tous les talents du nouvelliste. Dans cette nouvelle chorale, toutes les actions de ses personnages s'agrègent et convergent vers la chute finale de cette messe de minuit mouvementée.
Décroisser la lune, est-ce hors de portée pour ce SDF secrètement amoureux de la boulangère bienfaitrice ?...
« - Prenez... Plus froid que la semaine dernière, n'est-ce pas ? Je la devine pressée mais disponible, discrète mais enjouée. Je récupère le sac en papier garni de je ne sais quels délices. L'odeur flatte mes narines, tandis que j'enregistre mille myriades dispensées par son regard éblouissant.
- Merci beaucoup. Oui ça... ça pique ces jours-ci, je bredouille. Je me tiens dans la flaque de lumière du trottoir, héron mazouté.
- Ils ont prévu zéro degré, sourit ma bienfaitrice. »
Dans la rue, la concurrence est féroce entre miséreux. Sadaune pose sur eux un regard chaleureux et humain, en mesure de découvrir ce que cachent les oripeaux de la pauvreté extrême.
Samo, le taulard, gamberge au volant de ses bagnoles en rêvant d'Eva...
Eva la Capsule est presque aussi bien roulée qu'une bagnole. Si je devais la comparer à la mécanique, je choisirais peut-être le Ford Quadricycle de 1896 10x190 pour les fines attaches de son cou et de ses bras, et la Chevrolet Impala SS de 1963 4x240 pour son corps racé, ses...
Dire que par ma faute, une embrouille à la con, à force de faire cavalier seul et de truander les méga-nuls de Soho, j'avais failli perdre ma star.
On ne présente plus Roland Sadaune, auteur d'une foultitude de nouvelles et de romans dont le lectorat est constitué de fidèles. Avec Eva, il nous montre tout son talent roublard. Il nous embarque aux States en compagnie d'un drôle de gus, brouillant les pistes avec maestria.
La cloche, ça ne favorise pas une sexualité sereine, à moins que...
PARIS, SAMEDI 15 décembre. 9h45.
Le soleil rayonne sur le quai de Seine. Un soleil d'hiver trompeur, réchauffant ceux qui s'en réjouissent derrière leurs fenêtres. Pas mon cas. Trois heures que je suis réveillé. Le temps de pisser contre le mur en évitant de souiller mes boots, et je m'étais remis à trembler. La chaleur accumulée durant le sommeil s'était volatilisée à la vitesse d'un billet de vingt. Les 13° du palliatif rouge me ravigoteraient...
J'avais réajusté mes couvertures dépareillées par-dessus mes fripes et m'étais réinstallé dans mon lit cartonné, à l'écoute de l'alcool qui tapissait de velours mon intérieur. Par nuit sèche, les autres dormaient dans
l'escalier, à l'abri du parapet. Moi je préférais ouvrir les yeux sur les dessous du pont de la Tournelle. Son arche libérait le ciel, lentement. Chacun son regain d'espérance du jour. Une certitude, aucun de notre groupe n'avait envie d'essayer les hébergements avec leurs affres du petit matin.
Les charitables qui paient de leur personne prennent aussi en compte les besoins intimes des pauvres hères logés sous les ponts...