Les amours comme les bateaux meurent et terminent leurs vies au cimetière.
QAUND IL S'APPROCHA du cimetière des bateaux, Robert Marsouin perçut les bruits de la marée et de la mâture. Les oiseaux, figés en plein vol, l'étonnèrent. En revanche, la vision lumineuse des trois cabines le réjouit.
Que la fête commence ! s'exclama-t-il en son for intérieur.
Roland Sadaune est peintre, et c'est par petites touches qu'il conduit avec talent son récit jusqu'à sa chute. Une histoire de faux-semblants et de voyeurisme à travers le tableau des amours mortes.
Les tribulations sexuelles conduisent le héros au cimetière de la passion amoureuse.
Des photos suggestives tombées dans les mains d'un mari alcoolique et déprimé, la mécanique homicide se met en marche...
[...] Le bras en l'air, je regardai par transparence les négatifs. Je parvins à distinguer suffisamment pour être certain que, non, le photographe ne s'était pas planté une deuxième fois ! C'était bien elle, ma femme, ma gonzesse, ma ménopausée, avec sa chute de reins infernale se perdant sous la culotte brésilienne, qui s'exhibait sur la pellicule de douze. Je n'étais sur aucune des prises. Le grand brun avait dû se marrer. Il avait tiré la série, s'était agité avec, et m'avait refilé les plus sages. Le caddie, HS. Ma femme, une pute. J'étais passé à ses yeux pour un con !
Je réalisai. Son histoire de ménopause, une excuse comme une autre. Madame avait décrété l'embargo sur le zizi conjugal et s'offrait un voyou qui la photographiait à poil.
Roland Sadaune invente la romance en noir et en rousse : Eros et Thanatos au rendez-vous pour servir un cocktail mariant dérision acide et pulsion mortifère.
Samo, le taulard, gamberge au volant de ses bagnoles en rêvant d'Eva...
Eva la Capsule est presque aussi bien roulée qu'une bagnole. Si je devais la comparer à la mécanique, je choisirais peut-être le Ford Quadricycle de 1896 10x190 pour les fines attaches de son cou et de ses bras, et la Chevrolet Impala SS de 1963 4x240 pour son corps racé, ses...
Dire que par ma faute, une embrouille à la con, à force de faire cavalier seul et de truander les méga-nuls de Soho, j'avais failli perdre ma star.
On ne présente plus Roland Sadaune, auteur d'une foultitude de nouvelles et de romans dont le lectorat est constitué de fidèles. Avec Eva, il nous montre tout son talent roublard. Il nous embarque aux States en compagnie d'un drôle de gus, brouillant les pistes avec maestria.
La cloche, ça ne favorise pas une sexualité sereine, à moins que...
PARIS, SAMEDI 15 décembre. 9h45.
Le soleil rayonne sur le quai de Seine. Un soleil d'hiver trompeur, réchauffant ceux qui s'en réjouissent derrière leurs fenêtres. Pas mon cas. Trois heures que je suis réveillé. Le temps de pisser contre le mur en évitant de souiller mes boots, et je m'étais remis à trembler. La chaleur accumulée durant le sommeil s'était volatilisée à la vitesse d'un billet de vingt. Les 13° du palliatif rouge me ravigoteraient...
J'avais réajusté mes couvertures dépareillées par-dessus mes fripes et m'étais réinstallé dans mon lit cartonné, à l'écoute de l'alcool qui tapissait de velours mon intérieur. Par nuit sèche, les autres dormaient dans
l'escalier, à l'abri du parapet. Moi je préférais ouvrir les yeux sur les dessous du pont de la Tournelle. Son arche libérait le ciel, lentement. Chacun son regain d'espérance du jour. Une certitude, aucun de notre groupe n'avait envie d'essayer les hébergements avec leurs affres du petit matin.
Les charitables qui paient de leur personne prennent aussi en compte les besoins intimes des pauvres hères logés sous les ponts...