« Nous sommes partout. Au bureau, à l'épicerie, dans l'ascenseur, sur les ponts, dans nos voitures, dans le métro, sur nos balcons, à vélo, à la banque, à l'aéroport. Que nous soyons diplômées, autodidactes, brunes, rousses, minces, grosses, bijoutières, fonctionnaires, avocates ou animatrices à la radio, ça ne change rien à l'affaire : nous sommes célibataires.« Déesses, nous rendions les dieux de l'Olympe complètement fous ; sirènes, nous faisions perdre le nord aux héros de la mer. Mais ça s'est détraqué : nous sommes devenues des vierges, des sorcières, des nonnes, des courtisanes, des gouvernantes, des tuberculeuses, des filles mères et des vieilles filles à chats. Aujourd'hui, nous inspirons des romans à l'eau de rose et d'autres à saveur comique (haha), des films aux décors urbains, des séries télé diffusées à heure de grande écoute, des ouvrages de croissance personnelle, des blogues, des noms de martinis, mais par-dessus tout, nous inspirons de la pitié : nous sommes douces et gentilles, ma foi souvent même jolies, nous sommes drôles et intelligentes, alors, bon sang, qu'est-ce qui cloche ? Pourquoi sommes-nous seules ? Si vous trouvez la réponse, de grâce, dites-le-nous, car notre psy commence à nous coûter cher. »Dix ans après avoir publié Les gens fidèles ne font pas les nouvelles, Nadine Bismuth revient au genre qui l'a fait connaître, sans avoir rien perdu de son punch, au contraire. Elle nous donne dans ce nouveau recueil une série de tableaux de la vie contemporaine où la finesse de l'analyse n'a d'égale que le plaisir communicatif qu'elle prend à croquer ses modèles.
« Nous avions presque le même âge, en réalité, mon frère avait un an de moins que moi », et Flo s'est rendu compte qu'elle avait conjugué le verbe avoir à l' imparfait.
Ce frère, donc, qui avait combattu l'armée irakienne et fui la répression des ayatollahs, eh bien, il est mort d'une balle perdue un an après avoir atterri à Montréal. Aussi bête que ça. Ça s'est passé en plein jour, dans une rue tranquille d'un quartier résidentiel où la famille s' était établie quelques semaines après son arrivée au Canada.
- Vous imaginez ? Survivre à la guerre, à la dictature, et mourir d'une balle perdue, à Laval-des-Rapides ? »
Il y a toutes sortes de manières de mourir, et d'ailleurs ne mourons-nous pas tous un peu chaque jour ? Que ce soit une séparation amoureuse, ou la révélation d'une infidélité de l'être cher, ou la prise de conscience que notre enfance nous a échappé à tout jamais, la vie est pleine de ces moments où quelque chose se termine, irrémédiablement, et où quelque chose commence peut-être. Mais comment en être sûr ?
Au fil de ces treize textes, on voit se balader la grande faucheuse, revêtue d'une infinité de déguisements, dont ceux qui sont caractéristiques de notre époque : menaces terroristes, violence urbaine, vieillards qu'on abandonne, migration forcée. Elle nous glace le sang, bien sûr, chaque fois que nous l'apercevons, mais cela ne nous empêche pas, à l'occasion, de répondre à son sourire narquois ou grinçant en lui tirant la langue.
Il suffit d'un accroc pour qu'une plaie s'ouvre, d'un peu de négligence pour qu'elle s'infecte, et bientôt c'est le corps tout entier qui dépérit. N'en va-t-il pas de même des injustices et des humiliations du quotidien? Un homme incapable de reconnaître ses travers qui gronde son fils et gâche un séjour au chalet. Un amant qui emmène ses innombrables conquêtes bruncher au même endroit. Une infirmière qui traite les participants d'un essai clinique comme de simples amas de chair. Ou encore une mère qui conseille à la copine de son fils de manger du pamplemousse pour perdre son gras de bébé. La vie est jalonnée de ces affronts qu'on encaisse sans réagir et qu'on s'efforce aussitôt d'oublier. Mais y parvient-on jamais?
Souvent brèves, les vingt-trois nouvelles d'Éclipse électrique arpentent les quartiers de Montréal pour saisir la précarité de nos relations avec la fulgurance d'un instantané. Ici, les tensions se vivent au détour des ruelles, à l'étage des duplex ou au milieu des parcs. Elles s'expriment en anglais et en français, ces langues qui cohabitent, s'entrechoquent, se mêlent sans trouver de point d'équilibre. Elles révèlent le désarroi d'hommes et, surtout, de femmes trop souvent assujettis aux regards et aux envies des autres.
Avec ce premier livre de fiction, Melissa Bull signe une oeuvre d'une remarquable justesse. Dans une prose sans compromis, où l'étrange et l'onirique côtoient le trivial, elle met au jour la brutalité de ces moments en apparence anodins qui menacent de nous ébranler au plus profond de notre être.
Une ancienne ville soviétique rongée par la pauvreté et les ténèbres. Des jungles tropicales qui portent encore les traces de guerres atroces et de bouleversements climatiques. Un immense territoire à moitié englouti par l'affaissement d'une plaque tectonique. Une colonie martienne où naîtra un jour la vie si aucune comète ne vient détruire la planète. Égarés au milieu de ces paysages désolés et de ces ruines étrangement familières, des rescapés avancent à tâtons, le coeur à vif, mus par l'instinct de survie et le besoin de se réchauffer au contact des autres... quitte à s'abîmer encore davantage.
Dans ce premier recueil, Paige Cooper nous plonge sans repère ou presque dans des univers en décomposition où les machines à remonter le temps comme les voyages interplanétaires existent, et où il n'est pas rare de croiser des reptiles d'un autre âge, des aigles gigantesques ou des chevaux ailés armés de serres. Mais de toutes ces inventions et créatures fabuleuses, aucune n'est plus étrange que les humains qui les entourent, ces êtres farouches qui guettent et traquent leurs semblables pour tenter de les amadouer sans toutefois réussir à les comprendre.
Fusionnant la poésie et la science-fiction, le banal et le fantastique, ces quatorze nouvelles au style chirurgical sont autant de miniatures peintes avec un souci du détail et un pouvoir d'évocation exceptionnels. Au fil de ces histoires d'amour et d'amitié qui ne ressemblent à aucune autre, Zolitude explore sous un jour nouveau la fragilité des relations humaines et l'implacable solitude qui l'accompagne
Est-ce que la certitude de l'inéluctabilité de l'extinction du Soleil serait responsable de notre désensibilisation, de notre indifférence face à toute autre menace d'extinction ?
Après avoir posé cette question, la conférencière s'est arrêtée en réprimant un bâillement. À ce moment précis, tous les auditeurs ont entendu la fameuse mouche voler.
Et n'est-ce pas justement là tout l'art de Suzanne Jacob, celui de nous faire entendre le silence de la fameuse mouche, ou plutôt, de le décoder, de le faire parler pour nous ? De quoi sont faits tous ces non-dits, qui nous pèsent comme autant de morts qu'on ne peut enterrer parce que c'est l'hiver ?
Éblouissantes de maîtrise, attentives à nos multiples dissimulations, ces nouvelles mettent en scène des personnages qui sont au milieu, juste entre pile et face, entre recto et verso, entre l'envers et l'endroit de leur vie.
Le nom de sa ville m'est aussi familier que le mien. J'en murmure les envoûtantes syllabes quand je peine à trouver le sommeil, samarkand, samarkand, comme une vieille incantation, et je deviens la fille d'un marchand de soie, qui a fait la route à dos de mule avec son père depuis la Chine en rêvant d'atteindre la vénérable cité des déserts du nord; je suis la Mort qui se couche à côté du Grand Vizir et l'embrasse.
Combien de villes y a-t-il au monde que nous ne verrons jamais avant de mourir? Ne sont-elles pas les plus intrigantes, les plus ensorcelantes, les seules qui nous obsèdent vraiment? Comment nous empêcher de rêver quand nous entendons les noms de Taganrog, de Cleveland, de Poznan, de Frantsevo, de Baton-Rouge? Et surtout en entendant celui de Samarcande, qui miroite comme un mirage doré flottant au-dessus de l'horizon?
Hélène Robitaille a décidé d'écrire ces nouvelles qui ont toutes pour cadre imaginaire une de ces villes où elle n'ira pas. Taganrog, par exemple, en Russie, à la frontière de l'Ukraine. Taganrog : parce que c'est la ville où est né Anton Tchekhov. Chacune des autres nous amène dans un lieu vierge de nos pas, chacune est un petit roman, qui se donne le temps de conjurer un monde, de faire naître et mourir des personnages qui continueront obstinément à nous habiter une fois le livre refermé.
Musiciens, acteurs, homme, femme, mari, fils ou fille, amants, amantes vivent grâce à une écriture qui sait respirer avec eux. Faut-il se désoler que nous n'ayons nous-mêmes pas arpenté ces villes, qu'elles n'existent pour nous que grâce aux sortilèges de la fiction? Faut-il se désoler que notre vie soit traversée souvent de ces sortes de regrets qui nous amènent à réfléchir à tout ce que nous n'accomplissons pas en ce bas monde, avant la mort?
Si seulement ma blonde était avec moi [...]. J'admire sa façon de commettre les achats les plus audacieux avec une désinvolture presque eurythmique. Moi, je suis plutôt du genre à laisser l'objet prendre les devants, à me tenir disposé et réceptif devant cette force étrange qui s'en dégage, comme si la moindre babiole manufacturée en Birmanie pouvait renverser le cours de mon existence.
Un homme en quête d'un cadeau d'anniversaire sent les allées d'une grande surface se refermer sur lui. Un autre en instance de divorce est pris au piège par le téléphone intelligent d'une inconnue qui l'ensorcelle comme le chant d'une sirène. Des parents venus à la grande ville pour aider leur fils à déménager voient dans une place de stationnement vide le signe d'un miracle. Un père de famille est convaincu que la route sans asphalte qui borde sa propriété est responsable de la tragédie qu'il vit.
Dans un monde où Dieu est mort depuis longtemps, où l'Histoire a pris fin, où les grands récits ont cédé la place aux annonces publicitaires et aux gros titres des journaux à scandale, les personnages de Reliques profanes errent comme des brebis égarées sur le chemin du sens et de la destinée. Soumis aux innombrables tentations de la consommation et de la technologie, ils cherchent dans ce qui les entoure - objets du quotidien, espaces de vie, discours en tout genre - la possibilité d'une transcendance. Leur espoir? S'élever un tant soit peu au-dessus de leur triste réalité... au risque de sombrer, par la force des choses, dans l'idolâtrie.
Ancré dans des univers tour à tour absurdes, oniriques et fantastiques, ce premier recueil nous offre quatorze nouvelles joueuses et déroutantes qui s'interrogent sur notre condition à l'heure où matérialité et virtualité, telle une hydre à deux têtes, dominent de plus en plus nos vies.