L'autofiction serait l'horreur. Le narcissisme, le nombrilisme et la vacuité, son destin. Et si c'était faux ? Et si, loin de représenter le degré zéro de la littérature contemporaine, l'autofiction en incarnait l'excellence ? Depuis les origines de la littérature, c'est vers le Je et sa subversion que les écrivains ont dirigé toutes leurs expériences. De cette subversion, l'autofiction est désormais l'ultime laboratoire : le laboratoire de la déconstruction, de la dissémination, de la prolifération folle des Je. Mais ce laboratoire n'est pas celui d'un savant fou : les expériences qui y sont menées portent bien au-delà de la littérature. En elles s'imagine même une politique révolutionnaire. C'est de cette politique des révolutions du Je qu'il est désormais permis d'exposer les règles.
L'époque est pétrie de lieux communs. Leur force est telle que même leur critique est devenue un cliché. Comment en sortir ? Comment vaincre la suprématie du stéréotype ? L'oeuvre d'Édouard Levé offre peut-être une réponse à ces questions. Une réponse ambiguë et vague, à la recherche d'une juste distance par rapport aux choses. Mais une telle distance est-elle seulement possible ? N'est-ce pas son impossibilité qui, en fin de compte, a poussé Édouard Levé à quitter ce monde, plutôt que de l'inciter à toujours, vis-à-vis de lui, faire figure de contradiction ?