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Homme et Littérature
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Soyons sans pitié pour la gloire, cette grande corruptrice du jugement humain, lorsqu'elle n'est pas le reflet de la vraie vertu. Telle est la première réflexion qui se présente quand on entreprend de peindre la vie de César : le plus accompli, le plus aimable et le plus dépravé des Romains et peut-être des hommes.
Mais il faut comprendre Rome pour comprendre César...
Quand les peuples commencent à s'indigner en secret contre leurs tyrans,... il se prépare en contre la tyrannie une de ces explosions d'opinion publique qui ne se révèlent que sur la physionomie muette du peuple, mais ou le silence et les yeux baissés couvrent la résolution commune. Les peuples sont naturellement pusillanimes, parce que, tout en désirant passionnément d'être délivrés, aucun des hommes isolés qui composent la foule n'est chargé spécialement de la responsabilité de la patrie et ne sent en soi le dévouement nécessaire pour se compromettre et pour se sacrifier, inutilement peut-être, au salut de sa cause et de son pays. Voilà ce qui rend les tyrannies si durables, et ce qui fait que les murmures précèdent de si loin les explosions. Les révolutions sont déjà, mille fois accomplies dans tous les coeurs avant que les mains s'arment pour frapper la tyrannie.
Dans une situation semblable à celle que nous venons de décrire, tous les yeux se portent instinctivement sur l'homme que la conformité d'opinion, le génie, l'intégrité, le courage, désignent de plus haut à la pensée publique comme l'homme d'action et de salut. On espère vaguement en lui sans l'avoir interrogé ; on le nomme tout bas, on se repose en lui, on s'irrite de sa lenteur, on j'objurgue, on le provoque, on lui fait des signes d'intelligence ; on finit, à force d'insinuations, par faire naître dans le coeur de cet homme une pensée qu'il n'avait pas lui-même au commencement, par le charger tacitement de la colère et de la délivrance communes, par lui imposer en quelque sorte ou la responsabilité de l'oppression soufferte ou le devoir du coup d'État de la liberté.
Un tel homme existait : c'était Brutus. -
Au nom de Guillaume Tell, l'imagination rapproche aussitôt deux ordres de faits bien distincts : la révolution même qui amena l'indépendance de la Suisse, qui en fit un état, une nation nouvelle ; et les aventures particulières de celui qui fut regardé partout comme le héros populaire et le type de cette révolution...
Voici ce que les Suisses racontent des origines poétiques de leur liberté. Mais, d'abord, disons ce que la géographie et l'histoire nous apprennent de la Suisse (ou de l'Helvétie) et de ses habitants.
Les Alpes, semblables à un noeud robuste et proéminent des muscles de granit de la terre, sont une chaîne de montagnes qui s'étend sur un espace de trois cents lieues, depuis l'embouchure du Rhône vers Marseille jusqu'aux plaines de la Hongrie. Les anneaux de cette chaîne s'abaissent aux deux extrémités pour se confondre insensiblement avec la plaine ; au milieu de leur membrure, elles s'élèvent à des hauteurs inaccessibles aux pas et presque aux regards de l'homme... -
Cicéron : La vie d'un illustre orateur
Alphonse De Lamartine
- Homme et Littérature
- 12 Février 2024
- 9782381119311
Écrire demande toujours un certain effort. Il faut le vouloir pour y réussir ; il faut aimer à plaire pour le vouloir. Il est assez naturel qu'on tienne à plaire à ce grand public auquel s'adressent les livres ; mais c'est la marque d'une vanité plus délicate et plus exigeante que de se mettre en dépense d'esprit pour une seule personne. On s'est demandé souvent, depuis La Bruyère, pourquoi les femmes vont plus loin que nous dans ce genre d'écrire. N'est-ce pas parce qu'elles ont plus que nous le goût de plaire et une vanité naturelle qui, pour ainsi dire, est toujours sous les armes, qui ne néglige aucune conquête et sent le besoin de faire des frais pour tout le monde ?
Je ne crois pas que personne ait jamais possédé ces qualités au même degré que Cicéron... -
Gutenberg et l'invention de l'imprimerie : La vie d'un homme illustre
Alphonse De Lamartine
- Homme et Littérature
- 13 Février 2024
- 9782381119533
L'imprimerie est le télescope de l'âme. De même que cet instrument d'optique, appelé télescope, rapproche de l'oeil, en les grossissant, tous les objets de la création, les atomes et les astres même de l'univers visible ; de même, l'imprimerie rapproche et met en communication immédiate, continue, perpétuelle, la pensée de l'homme isolé avec toutes les pensées du monde invisible, dans le passé, dans le présent et dans l'avenir. On a dit que les chemins de fer et la vapeur supprimaient la distance ; on peut dire que l'imprimerie a supprimé le temps. Grâce à elle, nous sommes tous contemporains. Je converse avec Homère et Cicéron : les Homères et les Cicérons des siècles à naître converseront avec nous ; en sorte qu'on peut hésiter à prononcer si une presse n'est pas autant un véritable sens intellectuel, révélé à l'homme par Gutenberg, qu'une machine matérielle ; car il en sort sans doute du papier, de l'encre, des caractères, des chiffres, des lettres qui tombent sous les sens ; mais il en sort en même temps de la pensée, du sentiment, de la morale, de la religion, c'est-à-dire une portion de l'âme du genre humain...
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Raconter l'histoire d'Héloïse et Abélard, ces deux victimes d'une vengeance d'autant plus barbare qu'elle n'avait pas de motif, c'est rappeler ce que l'amour eut de plus tendre, de plus éloquent et de plus malheureux.
« On n'écrit pas cette histoire, on la chante. On ne craint pas de la chanter dans un livre historique destiné à reproduire les plus grandes choses de la pensée et du coeur qui ont influé sur le sort des nations : car l'amour est aussi une des grandeurs de notre nature ; et quand ce sentiment est porté jusqu'à l'héroïsme de la femme, le dévouement ; quand il est allumé par la beauté, excusé par la faiblesse, expié par le malheur, transformé par le repentir, sanctifié par la religion, popularisé dans toute une époque par le génie, éternisé par la constance sur la terre et par ses aspirations à l'immortalité dans le ciel, cet amour se confond presque avec la vertu, il fait de deux amants deux héros et deux saints dont les aventures deviennent l'entretien, et dont les larmes deviennent les larmes d'un siècle.
Telle est l'histoire ou le poème d'Héloïse et d'Abélard. Aucune histoire, aucun poème, n'ont touché plus profondément le coeur des hommes depuis huit siècles. »