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maylis de kerangal
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"Finalement, il vous dit quelque chose, notre homme ? Nous arrivions à hauteur de Gonfreville-l'Orcher, la raffinerie sortait de terre, indéchiffrable et nébuleuse, façon Gotham City, une autre ville derrière la ville, j'ai baissé ma vitre et inhalé longuement, le nez orienté vers les tours de distillation, vers ce Meccano démentiel. L'étrange puanteur s'engouffrait dans la voiture, mélange d'hydrocarbures, de sel et de poudre. Il m'a intimé de refermer, avant de m'interroger de nouveau, pourquoi avais-je finalement demandé à voir le corps ? C'est que vous y avez repensé, c'est que quelque chose a dû vous revenir.
Oui, j'y avais repensé. Qu'est-ce qu'il s'imaginait. Je n'avais pratiquement fait que penser à ça depuis ce matin, mais y penser avait fini par prendre la forme d'une ville, d'un premier amour, la forme d'un porte-conteneurs." -
"Le coeur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps."
Réparer les vivants est le roman d'une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d'accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le coeur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l'amour. -
"L'herbe avait bleui dans les ombres du soir, tout comme le profil de Sam dont les yeux harponnaient loin, iris rétroéclairés par les lumières du tableau de bord. Je lui ai trouvé cet autre visage que j'allais devoir apprendre à connaître, l'air habité de ceux qui mettent le réel à distance, ceux qui dévient en douce, décollent, glissent dans l'illusion."
Une Parisienne exilée dans une petite ville du Colorado s'acclimate difficilement à sa nouvelle vie, contrairement à son compagnon, dont la voix et la personnalité se mettent à changer... Autour de cette novella centrale se déploient et se répondent sept autres récits qui font la part belle aux femmes - solitaires, rêveuses, volubiles, hantées ou marginales. D'une nouvelle à l'autre, Maylis de Kerangal questionne la manière dont le temps érode les êtres et leurs liens : qu'est-ce qui reste, se transforme, ou disparaît ? -
"Les petits cons de la corniche. La bande. On ne sait les nommer autrement. Leur corps est incisif, leur âge dilaté entre treize en dix-sept, et c'est un seul et même âge, celui de la conquête : on détourne la joue du baiser maternel, on crache dans la soupe, on déserte la maison."
Le temps d'un été, quelques adolescents désoeuvrés défient les lois de la gravitation en plongeant le long de la corniche Kennedy. Derrière ses jumelles, un commissaire, chargé de la surveillance de cette zone du littoral, les observe. Entre tolérance zéro et goût de l'interdit, les choses vont s'envenimer...
Âpre et sensuelle, la magie de ce roman ne tient qu'à un fil, le fil d'une écriture sans temps morts, cristallisant tous les vertiges. -
«Paula s'avance lentement vers les plaques de marbre, pose sa paume à plat sur la paroi, mais au lieu du froid glacial de la pierre, c'est le grain de la peinture qu'elle éprouve. Elle s'approche tout près, regarde : c'est bien une image. Étonnée, elle se tourne vers les boiseries et recommence, recule puis avance, touche, comme si elle jouait à faire disparaître puis à faire revenir l'illusion initiale, progresse le long du mur, de plus en plus troublée tandis qu'elle passe les colonnes de pierre, les arches sculptées, les chapiteaux et les moulures, les stucs, atteint la fenêtre, prête à se pencher au-dehors, certaine qu'un autre monde se tient là, juste derrière, à portée de main, et partout son tâtonnement lui renvoie de la peinture. Une fois parvenue devant la mésange arrêtée sur sa branche, elle s'immobilise, allonge le bras dans l'aube rose, glisse ses doigts entre les plumes de l'oiseau, et tend l'oreille dans le feuillage.»
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À l'aube du second jour, quand soudain les buildings de Coca montent, perpendiculaires à la surface du fleuve, c'est un autre homme qui sort des bois, c'est un homme hors de lui, c'est un meurtrier en puissance. Le soleil se lève, il ricoche contre les façades de verre et d'acier, irise les nappes d'hydrocarbures moirées arc-en-ciel qui auréolent les eaux, et les plaques de métal taillées en triangle qui festonnent le bordé de la pirogue, rutilant dans la lumière, dessinent une mâchoire ouverte.
Ce livre part d'une ambition à la fois simple et folle : raconter la construction d'un pont suspendu quelque part dans une Californie imaginaire à partir des destins croisés d'une dizaine d'hommes et femmes, tous employés du gigantesque chantier. Un roman-fleuve, à l'américaine, qui brasse des sensations et des rêves, des paysages et des machines, des plans de carrière et des classes sociales, des corps de métiers et des corps tout court. -
Ni fleurs ni couronnes ; sous la cendre
Maylis de Kerangal
- Gallimard
- Folio
- 13 Mai 2021
- 9782072935657
"Finbarr repoussa la couverture, repoussa l'idée de la bière et du tabac, l'idée d'un tour au pub ou d'un racket crapuleux derrière les tanneries, il repoussa l'idée des filles de Belgooly. Il écarta tout cela et alors, il ne resta plus devant lui que l'avenir tout nu et qui n'en finissait pas."
Irlande, 1915. La nuit où Finbarr Peary décide de quitter le petit village misérable dans lequel il a grandi, un navire échoue près de la côte. Les décisions qu'il prendra alors bouleverseront le cours de son existence.
Été 2003, une expédition nocturne s'organise sur les pentes du Stromboli. Deux amis, aux prises avec leurs vertiges volcaniques, tombent sous le charme d'une inconnue, Antonia. Cette rencontre pourrait bien précipiter leur chute à tous... -
Brasserie parisienne, restaurant étoilé, auberge gourmande, bistrot gastronomique, taverne mondialisée, cantine branchée, Mauro, jeune cuisinier autodidacte, traverse Paris à vélo, de place en place, de table en table. Un parcours dans les coulisses d'un monde méconnu, sondé à la fois comme haut-lieu du patrimoine national et comme expérience d'un travail, de ses gestes, de ses violences, de ses solidarités et de sa fatigue. Au cours de ce chemin de tables, Mauro fait l'apprentissage de la création collective, tout en élaborant une culture spécifique du goût, des aliments, de la commensalité. À la fois jeune chef en vogue et gardien d'une certaine idée de la cuisine, celle que l'on crée pour les autres, celle que l'on invente et que l'on partage.
Maylis de Kerangal est écrivain. Ses romans et ses nouvelles sont publiés aux Éditions Verticales. Elle vit et travaille à Paris.
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"T'es rock, t'es pas rock. La vie rock. Ce n'est pas gravé sur les disques, ce n'est pas imprimé dans les livres. Une épithète consubstantielle, un attribut physique comme être blonde, nerveux, hypocondriaque, debout. Rock rock rock. Le mot est gros comme un poing et rond comme un caillou. Prononcé cent fois par jour, il ne s'use pas. Dehors le ciel bouillonne, léger, changeant quand les nuages pèsent lourd, des milliers de tonnes bombent l'horizon derrière les hautes tours, suspendus. Être rock. Être ce qu'on veut. Plutôt quelque chose de très concret. Demandez le programme !"
Le Havre, 1978. Elles sont trois amies inséparables. Un dimanche de pluie, elles font du stop, et dans la R16 déboule la voix de Debbie Harris, la chanteuse de Blondie. Debbie qui s'impose aux garçons de son groupe, Debbie qui va devenir leur modèle. -
à ce stade de la nuit
Maylis de Kerangal
- Gallimard
- Minimales/Verticales
- 15 Octobre 2015
- 9782072638114
Lampedusa. Une nuit d'octobre 2013, une femme entend à la radio ce nom aux résonances multiples. Il fait rejaillir en elle la figure de Burt Lancaster - héros du Guépard de Visconti et du Swimmer de Frank Perry - puis, comme par ressac, la fin de règne de l'aristocratie sicilienne en écho à ce drame méditerranéen : le naufrage d'un bateau de migrants.
Écrit à la première personne, cet intense récit sonde un nom propre et ravive, dans son sillage, un imaginaire traversé de films aimés, de paysages familiers, de lectures nomades, d'écrits antérieurs. Lampedusa, île de littérature et de cinéma devenue l'épicentre d'une tragédie humaine. De l'inhospitalité européenne aussi.
Entre méditation nocturne et art poétique, À ce stade de la nuit est un jalon majeur dans le parcours littéraire de Maylis de Kerangal. -
'Ceux-là viennent de Moscou et ne savent pas où ils vont. Ils sont nombreux, plus d'une centaine, des gars jeunes, blancs, pâles même, hâves et tondus, les bras veineux le regard qui piétine, le torse encagé dans un marcel kaki, allongés sur les couchettes, laissant pendre leur ennui résigné dans le vide, plus de quarante heures qu'ils sont là, à touche-touche, coincés dans la latence du train, les conscrits.'
Pendant quelques jours, le jeune appelé Aliocha et Hélène, une Française montée en gare de Krasnoïarsk, vont partager en secret le même compartiment, supporter les malentendus de cette promiscuité forcée et déjouer la traque au déserteur qui fait rage d'un bout à l'autre du Transsibérien. Les voilà condamnés à fuir vers l'est, chacun selon sa logique propre et incommunicable.