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EHS
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Comme nous feuilletions dernièrement un ancien volume du Magasin pittoresque, nous y avons lu une histoire singulière, celle d'une jeune fille de 9 ou 10 ans qui fut trouvée dans les bois, près de Châlons. On ne put savoir où elle était, née, ni d'où elle venait. Elle n'avait gardé aucun souvenir de son enfance. En rapprochant les détails donnés par elle aux diverses époques de sa vie, on supposa qu'elle était née dans le nord de l'Europe et probablement chez les Esquimaux, que de là elle avait été transportée aux Antilles, et enfin en France. Elle assurait qu'elle avait deux fois traversé de larges étendues de mer, et paraissait émue quand on lui montrait des images qui représentaient soit des huttes et des barques du pays des Esquimaux, soit des phoques, soit des cannes à sucre et d'autres produits des îles d'Amérique. Elle croyait se rappeler assez clairement qu'elle avait appartenu comme esclave à une maîtresse qui l'aimait beaucoup, mais que le maître, ne pouvant la souffrir, l'avait fait embarquer.
Si nous reproduisons ce récit que nous ne connaissons que de seconde main, c'est parce qu'il permet de comprendre en quel sens on peut dire que la mémoire dépend de l'entourage social. À 9 ou 10 ans, un enfant possède beaucoup de souvenirs, récents et même assez anciens. Que lui en resterait-il, s'il était brusquement séparé des siens, transporté dans un pays où on ne parle pas sa langue, où ni dans l'aspect des gens et des lieux, ni dans les coutumes, il ne retrouverait rien de ce qui lui était familier jusqu'à ce moment ? L'enfant a quitté une société pour passer dans une autre. Il semble que, du même coup, il ait perdu la faculté de se souvenir dans la seconde de tout ce qu'il a fait, de tout ce qui l'a impressionné, et qu'il se rappelait sans peine, dans la première. Pour que quelques souvenirs incertains et incomplets reparaissent, il faut que, dans la société où il se trouve à présent, on lui montre tout au moins des images qui reconstituent un moment autour de lui le groupe et le milieu d'où il a été arraché.
Cet exemple n'est qu'un cas limite. Mais si nous examinions d'un peu plus près de quelle façon nous nous souvenons, nous reconnaîtrions que, très certainement, le plus grand nombre de nos souvenirs nous reviennent lorsque nos parents, nos amis, ou d'autres hommes nous les rappellent. On est assez étonné lorsqu'on lit les traités de psychologie où il est traité de la mémoire, que l'homme y soit considéré comme un être isolé. Il semble que, pour comprendre nos opérations mentales, il soit nécessaire de s'en tenir à l'individu, et de sectionner d'abord tous les liens qui le rattachent à la société, de ses semblables. Cependant c'est dans la société que, normalement, l'homme acquiert ses souvenirs, qu'il se les rappelle, et, comme on dit, qu'il les reconnaît et les localise
À PROPOS DE L'AUTEUR
Maurice Halbwachs est un sociologue français né à Reims le 11 mars 1877 et mort en déportation à Buchenwald le 16 mars 1945. Il est l'auteur d'une thèse sur La classe ouvrière et les niveaux de vie.
Élève d'abord à l'École normale supérieure, il est agrégé de philosophie, docteur en droit et lettres.
Il séjourne en 1904 à Gttingen, où il s'occupe des papiers de Leibniz. En 1909 il va à Berlin, où il est en même temps correspondant de l'Humanité.
Professeur de philosophie au Lycée Henri-Poincaré de Nancy jusqu'en 1915, il est nommé maître de conférences de philosophie à la faculté de lettres de Caen puis, en 1919, professeur de sociologie à la faculté de Strasbourg. En 1935, il obtient une chaire à la Sorbonne. Halbwachs voyage beaucoup et est nommé président de l'Institut français de sociologie en 1938. Le 10 mai 1944, il est élu à la chaire de psychologie collective au Collège de France mais le 23 juillet, il est arrêté par la Gestapo, quelques jours après son fils Pierre, quelques mois après l'assassinat de ses beaux-parents Hélène et Victor Basch. Il est interné à Fresnes puis déporté à Buchenwald, où il meurt de la dysenterie. Jorge Semprún, déporté avec lui, a raconté ses conversations avec le sociologue mourant. -
Dans notre étude sur les transformations morales en général, nous n'avons pu suivre séparément les transformations opérées ou à opérer dans chacune des branches principales de la morale. Le temps nous manque pour entreprendre toutes ces monographies. Mais il en est une qui peut être abordée pendant le peu de temps qui nous reste, et qui, par sa nature, est facile à détacher : c'est l'examen des variations de la morale sexuelle.
Je m'attache à cette catégorie de devoirs parce qu'il n'en est pas qui soit plus propre à réfuter certaines erreurs accréditées et à mettre sur la voie des véritables principes explicatifs de notre sujet. Aux partisans, si nombreux, d'un évolutionnisme unilinéaire qui prétendrait assujettir la morale à traverser une série unique et réglée de phases successives, il suffit d'objecter la diversité si grande des points de départ de l'évolution de la morale sexuelle dans les diverses sociétés, souvent même les plus rapprochées, la diversité non moins grande du cours capricieux et zigzagant de cette évolution, et la différence profonde aussi de son aboutissement, autant qu'il est possible d'en juger, et bien qu'on puisse démêler à certains égards, à travers tant de dissemblances, une certaine tendance générale peut-être.
Il y a quelques années, sous l'influence de quelques auteurs tels que Bachofen, Mac Lennan, Sir John Lubbock, Morgan, etc., on inclinait à penser que la promiscuité au sein du clan ou de la tribu avait été le point de départ primitif et universel de l'évolution des rapports sexuels. Cette hypothèse a été battue en brèche par Westermarck, entre autres écrivains, avec une si grande vigueur qu'il n'en reste rien. Ce que l'on considérait à tort comme la règle est devenu l'exception infime et même contestable. Beaucoup de peuples, par exemple les Fuégiens, qu'on avait signalés comme livrés à la promiscuité la plus bestiale, professent au contraire de l'aversion pour l'adultère et le libertinage ; et, si chez d'autres peuples on voit une licence de moeurs qui s'approche de la promiscuité, ce n'est nullement chez les peuples les plus inférieurs. Les Veddahs, le plus infime peut-être des peuples connus, pratiquent la monogamie indissoluble. - Les tribus les plus immorales sont celles qui ont été corrompues par le contact des Européens... -
J'ai écrit ce livre pour expliquer l'esprit de la civilisation chinoise et pour en montrer la valeur. Il me semble que, lorsqu'on veut estimer la valeur d'une civilisation, on ne doit pas considérer si elle a construit ou si elle peut construire de grandes cités, de magnifiques maisons, de belles routes, si elle a su imaginer des meubles beaux et confortables, inventer des outils et des instruments utiles et ingénieux. On ne doit même pas s'attacher aux institutions, aux arts et aux sciences qu'elle a créée. Ce qu'il faut examiner avant tout, c'est le type d'humanité qu'elle a su produire, le caractère des hommes et des femmes qu'elle a formés. Seul, l'être humain, l'homme aussi bien que la femme, révèle l'essence, la personnalité, l'âme de la civilisation dont il est issu. J'ajouterai que le langage parlé par cet être humain révèle son essence, sa personnalité, son âme. C'est un fait bien connu des Français, qui aiment à répéter que « le style c'est l'homme ».
Les Américains, qu'on me permette de le dire, ne comprennent pas facilement les Chinois parce que si, dans l'ensemble, ils ont l'esprit étendu et simple, ils manquent de profondeur. Les Anglais ne peuvent pas comprendre la Chine : leur esprit est profond et simple mais il manque d'étendue. Les Allemands, eux non plus, ne peuvent pas nous comprendre car, surtout lorsqu'ils sont cultivés, ils possèdent la profondeur et l'étendue, mais n'ont pas la simplicité. -
On désigne sous le nom de télépathie, un ensemble de phénomènes qui révèlent une communication de pensées ou d'images, ou une apparition, à distance, sans intermédiaire matériel et sans le concours des sons ordinaires.
Si nous nous reportons aux paroles de M. Richet, c'est la transmission à distance, et sans aucun intermédiaire appréciable, d'une impression ressentie par un organisme A à un autre organisme B, sans que cet organisme B soit en rien averti. De tous les phénomènes psychiques occultes, ce sont ceux de la Télépathie qui ont été jusqu'ici étudiés avec le plus de soin ; ils ont donné lieu à de nombreux et sérieux travaux. Les premières études scientifiques sur ce sujet furent entreprises par la Society for psychical Researches de Londres, qui fit sur les hallucinations télépathiques une enquête dans le monde entier. Les résultats en ont été consignés dans deux gros volumes.
Les faits de télépathie ont ensuite été étudiés par messieurs Ochorowicz, Richet, Héricourt, Beaunis, Janet, etc...
Le premier degré, et pour ainsi dire la base expérimentale de la télépathie, c'est la Suggestion mentale, la transmission de la pensée - à des distances variables et sans aucun intermédiaire - d'une personne à une autre, toutes deux à l'état de veille. Cette suggestion mentale est-elle scientifiquement démontrée ? ... -
Le Mont-Ventoux : étude d'histoire naturelle
Jean-Henri Fabre, Charles Martins
- EHS
- 29 Décembre 2022
- 9782381115504
Tout voyageur descendant ou remontant la vallée du Rhône remarque entre Orange et Avignon une grande montagne qui s'élève majestueusement au-dessus de la fertile plaine arrosée par la fontaine de Vaucluse. C'est le Mont-Ventoux (Mons Ventosus). Sa forme pyramidale, sa large base, son sommet triangulaire, blanchi par la neige pendant l'hiver, charment les yeux de l'artiste et arrêtent surtout l'attention du géologue, qui devine là un riche terrain de recherches. Le botaniste de son côté se plaît à comparer les zones végétales échelonnées sur ses deux versants, depuis celle de l'olivier jusqu'à la région alpine. L'agriculteur enfin suit avec intérêt les essais de reboisement qui se poursuivent sur le revers méridional. Le Mont-Ventoux est le dernier ressaut de la chaîne des Alpes maritimes. Avant d'expirer sur les bords du Rhône, la force qui plissa l'écorce terrestre semble avoir fait un effort suprême pour élever le Mont-Ventoux au-dessus des crêtes parallèles environnantes... Le sommet du Ventoux, point géodésique de premier ordre, fait partie du canevas ou réseau primordial de la carte de France.
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La Provence et l'Auvergne ou « île centrale » sont ces deux terres également curieuses à observer. Séparées maintenant l'une de l'autre par la vallée du Rhône, jadis par un bras de mer, marquées de traits communs, mais ayant en des destinées différentes et des événements qui leur sont propres, elles méritent, par cela même, d'être l'objet chacune d'une étude spéciale, et leurs annales comportent une double histoire. Nous commencerons par celle de la Provence.
En jetant les yeux sur une carte de Provence, on voit, à partir du cap Sicié, la côte s'infléchir, se creuser, devenir sinueuse et capricieusement découpée. Non-seulement elle donne lieu aux rades de Toulon et d'Hyères, aux plages dentelées de Bormes et de Cavalaire, au golfe de Grimaud ; mais elle projette au sud un archipel, celui des îles d'Hyères, au moyen duquel la Provence atteint et dépasse quelque peu le 43e degré de latitude. Au-delà, c'est-à-dire à la hauteur de l'embouchure de l'Argent, la côte se replie et remonte vers le nord. Le périmètre dont nous venons de suivre les limites littorales est borné à l'intérieur des terres par la petite chaîne des Maures, qui court de la Garde-Freynet à Pignans ; le long de la plage, la région ainsi déterminée est le plus souvent abrupte, semée d'anfractuosités, d'accidents anguleux ou même coupée à pic, comme si la continuité des terrains qu'elle comprend eût été brusquement rompue à un moment donné, sans qu'il soit possible de présumer leur étendue antérieurement à cette fracture. C'est là, en Provence, en y joignant quelques lambeaux vers l'Estérel, au-dessus de Cannes et du golfe Juan, la « région primitive, » émergée de toute ancienneté, en même temps la région siliceuse et cristalline dont les roches, granitiques et gneissiques par places, sont plus ordinairement schisteuses et pailletées de mica... -
Le café et son histoire
Alphonse Chevallier, G.-E. Coubard D'Aulnay
- EHS
- 27 Décembre 2022
- 9782381115436
Retracer l'histoire du Café, son introduction successive dans les diverses contrées de l'Europe, les diverses prohibitions qui l'ont frappé, mais qui, loin de l'arrêter dans sa marche, n'ont fait qu'en propager l'usage; présenter la description exacte de l'arbre qui produit cette fève aujourd'hui si répandue, ses différentes cultures suivant les pays, offrir au consommateur les moyens de savoir distinguer d'une manière certaine les diverses sortes de Café qui se rencontrent dans le commerce, tel est l'objectif de ce livre.
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Les conditions géographiques des faits sociaux
Paul Vidal De La Blache
- EHS
- 26 Décembre 2022
- 9782381115245
L'étude des conditions géographiques des faits sociaux est une question dont l'importance ne trouverait guère de contradicteurs.
Il est assurément facile de saisir des cas de corrélation intime entre un fait géographique et un fait social. La contiguïté de deux régions, plaine et montagne, où l'ordre des travaux n'est pas le même, où les récoltent mûrissent à des dates différentes, rend disponibles des travailleurs qui vont louer périodiquement leurs bras. La présence d'une grande ville fait naître à ses portes des cultures spéciales, associées à des habitudes également spéciales, celles des maraîchers ou des hortillons. L'existence très localisée d'un produit de première nécessité peut engendrer des conséquences sociales et politiques. Tout le monde sait quelle importance historique a eue le commerce du sel en Bavière, en Lorraine, en Franconie et ailleurs; à quels mouvements d'échanges il a donné lieu sur certains points du Sahara. Source de richesse et de puissance pour ses détenteurs, la possession de ce bien provoquait des conflits, créait des relations, contribuait souvent à former des villes.
Ces rapports sont intéressants; l'historien et l'économiste se plaisent à les noter. Mais, si curieux qu'il puisse être d'assembler des faits de ce genre, on peut se demander s'ils constituent un objet de science, s'il est possible de fonder sur eux une recherche systématique et méthodique. Non sans doute, si on les envisage isolément, comme des incidents et des particularités. Mais n'en sera-t-il pas autrement si on s'élève à une notion plus compréhensive et plus haute ? N'y a-t-il pas un plan général dans lequel rentrent ces exemples, ou d'autres semblables, de phénomènes sociaux ? -
Quelque définition que nous puissions donner de l'instinct, il rentre évidemment dans les phénomènes de l'ordre psychologique... On en a donné diverses définitions, telles que : « Aptitude qui opère sans l'aide de l'instruction ou de l'expérience ; » ou bien : « Une faculté mentale totalement indépendante de l'organisation » ; « Une faculté à laquelle on attribue chez l'animal les actes qui, chez l'homme, résultent d'un enchaînement de raisonnements, aussi bien que ceux dont l'homme est incapable, et qu'on ne peut expliquer par aucun effort de l'intelligence. »
Le mot instinct est aussi très souvent appliqué à des actes qui résultent évidemment de l'organisation ou de l'habitude. On dit du poulain ou du veau qu'il marche par instinct, aussitôt qu'il est né ; mais cela est dû uniquement à son organisation qui lui rend la marche possible et agréable. De même ou dit que, par instinct, nous étendons les mains pour éviter une chute ; mais c'est là une habitude acquise, que l'enfant ne possède pas.
L'étude de l'instinct a un intérêt particulier pour le philosophe, parce que l'instinct est sur la limite commune du mécanisme et de l'intelligence. -
Le Thé : son histoire, sa culture et son rôle hygiénique
Anselme Payen, Antoine Bietrix
- EHS
- 27 Décembre 2022
- 9782381115443
C'est dans la famille des camellias que les botanistes rangent la plante originaire de la Chine appelée tcha dans le Céleste-Empire, tsjaa au Japon, tea en Angleterre, et thé en France.
Trois plantes exotiques fournissent la base des principales boissons alimentaires et aromatiques introduites aujourd'hui dans le régime habituel des nations. Depuis l'époque où l'usage de ces boissons s'est établi, toutes n'ont pas rencontré une faveur égale. Pour des causes que nous chercherons à expliquer, c'est tantôt l'une, tantôt l'autre, qui a dominé dans la consommation générale ; chacune de ces boissons salutaires n'en concourt pas moins pour sa part à développer le bienfaisant usage du sucre et à diminuer le dangereux abus des liqueurs et préparations alcooliques.
On sait déjà comment on obtient du périsperme ou noyau d'une petite cerise aigrelette cueillie sur un arbrisseau originaire d'Arabie le produit remarquable connu sous le nom de café ; on sait aussi comment d'un fruit beaucoup plus volumineux on extrait les nombreuses amandes qui constituent le cacao. On prépare la boisson connue sous le nom de thé avec des produits en apparence bien différents, avec les feuilles d'un arbrisseau qui, dans certaines circonstances favorables de culture, atteint presque les proportions d'un arbre de moyenne grandeur. La culture de l'arbre à thé, la dessiccation et l'exportation des précieuses feuilles d'où l'on tire le breuvage si recherché en Chine et dans l'Europe du nord, le rôle alimentaire de la plante aromatique, marquent l'ordre et les divisions naturelles d'une étude dont le but principal serait de rechercher l'influence que peut exercer l'usage du thé sur l'hygiène et la salubrité publique. -
La betterave rouge fut importée de l'Italie dans l'Europe du nord vers la fin du XVIe siècle, et cultivée dans les jardins comme plante alimentaire pour l'homme. C'est en Allemagne que cette culture prit d'abord de grandes proportions ; elle ne se développa en France que beaucoup plus tard. Une variété productive, mais très aqueuse, de la betterave, la disette, avait été introduite dans notre pays en 1775 par Vilmorin. On en faisait usage principalement pour la nourriture des animaux. L'abbé Commerel, qui lui donna le nom de betterave champêtre, rédigea sur la culture de la disette en 1784 une bonne instruction publiée par ordre du gouvernement et insérée dans le Dictionnaire de l'abbé Rozier. Ce n'est pourtant qu'à la fin du XVIIIe siècle que le blocus des ports français et les obstacles apportés aux communications de la France avec les colonies appelèrent l'attention du pays sur la possibilité d'obtenir de la betterave des ressources bien autrement précieuses. Il s'agissait en effet d'extraire économiquement de cette plante un sucre cristallisable, et tel est le problème que la science parvint à résoudre, en même temps qu'elle développait, au grand avantage de diverses industries indigènes, l'exploitation de matières premières tirées du sol, mais jusqu'alors négligées, qui produisirent en abondance l'acide sulfurique, le chlore, la soude, l'alun, le salpêtre, le sel ammoniac, etc. Dès-lors aussi furent inaugurées ces savantes méthodes industrielles au moyen desquelles la France, tout en luttant contre la pression extérieure, dota de forces nouvelles l'industrie des nations qui voulaient l'accabler.
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La douleur, le dégoût et la peur, sont des sentiments très voisins. Ils représentent l'ensemble des émotions répulsives. En effet, ni l'homme ni l'animal ne sont indifférents vis-à-vis des choses de la nature. Ils ont pour les objets et les êtres des sentiments qui, pour être très complexes et très variables, peuvent néanmoins se ramener à deux émotions primitives tout à fait simples, l'amour ou la haine : l'attraction ou la répulsion. La douleur, le dégoût, la peur, sont les trois formes de la répulsion. Cette répulsion peut être morale ou physique. C'est même un fait bien curieux qu'à des émotions, tout à fait physiques, matérielles pour ainsi dire, se soient, grâce au langage, complètement assimilées des émotions morales.
Ce livre explore et analyse les phénomènes de la douleur et du dégoût. -
Jusqu'au milieu du siècle dernier, la chaîne centrale des Alpes n'était connue que des montagnards ; les habitants de la plaine ne la visitaient pas. L'absence ou la difficulté des chemins, qui n'étaient que des sentiers, le manque d'hôtelleries, la crainte de l'imprévu, l'emportaient sur la curiosité. Située au pied du Mont-Blanc, appelé alors la montagne maudite, la vallée de Chamonix était inconnue aux populations des bords du lac Léman, quoique le prieuré ou couvent de bénédictins existât depuis 1090, et que les évêques de Genève le visitassent dès le milieu du XVe siècle. L'un d'eux, François de Sales, y arriva le 30 juillet 1606 et y resta plusieurs jours. Néanmoins c'est un voyageur anglais célèbre par ses pérégrinations en Orient, Richard Pococke, accompagné de Windham, un de ses compatriotes, qui a réellement découvert la vallée de Chamonix en 1741, fait connaître ses beautés et dissipé les craintes mal fondées qu'inspirait la prétendue barbarie des habitants...
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Ce livre explore l'histoire de la monnaie et expose à travers l'oeuvre de Gabriel Tarde, sa définition, sa nature, son pouvoir, ainsi que les effets psychologiques du règne de la monnaie.« L'avènement de la monnaie a enrichi le coeur humain de sentiments nouveaux et de vices nouveaux. Nous lui devons l'orgueil financier, la béatitude spéciale du milliardaire appuyé sur son portefeuille, comme l'orgueil d'un capitaine se fonde sur son armée. Ce que le guerrier antique dit à sa lance et à son bouclier, dans une épigramme grecque : « Grâce à vous, je suis libre, j'ai des loisirs sans fin, je me fais servir par des esclaves », le riche moderne peut le dire a son coffre fort. Le culte de l'or, cette passion qui a quelque chose de religieux par le caractère vaste et vague, indéterminé et illimité, des perspectives de bonheur que son objet lui fait entrevoir, est une fibre importante de l'âme humaine. Le plaisir d'économiser, de gagner de l'argent, est un enivrement tout spécial qui n'a rien de commun avec le simple avantage de recevoir un bien déterminé, un bijou, un meuble, un livre. Autre chose est le plaisir de manger un bon fruit, autre chose la satisfaction intime et profonde de sentir sa santé se fortifier. Il y a de l'un à l'autre la différence de l'actuel au virtuel, j'allais dire du fini à l'infini... »
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Le plateau central et ses volcans
Stanislas Meunier, Philippe Glangeaud
- EHS
- 5 Mai 2022
- 9782381113807
Considérée dans son ensemble, la France présente un caractère de symétrie depuis longtemps remarqué. Son contour ne s'éloigne pas beaucoup de celui d'un hexagone régulier et, de ses six côtés, trois sont des frontières maritimes, pendant que deux autres, les Pyrénées et les Alpes sont montagneuses. Seule, sa frontière du Nord-Est, de Belfort à Dunkerque, est ouverte. Ces circonstances tiennent à ce que, malgré la très grande diversité de son sol, notre pays constitue un tout géologique.
En y regardant de plus près, on reconnaît que son architecture est coordonnée dans son ensemble par rapport à un point milieu, que signalent son relief et la distribution autour de lui des principales formations sédimentaires. C'est le Plateau Central, incomparable entre toutes les régions françaises par la présence de nombreux volcans, non actifs il est vrai, mais dont l'extinction remonte à un passé très peu reculé géologiquement. -
Les cyclones ou tempêtes tournantes sont l'un des phénomènes les plus importants et les plus curieux de l'atmosphère. Ces impressionnants phénomènes, dont la route est marquée par tant de désastres, sont désignés par différents noms : ouragans, dans l'océan Indien ou l'Atlantique ; typhons dans la mer de Chine ; simoun, dans le désert ; tornades, sur la côte occidentale d'Afrique. Ces derniers tourbillons ne s'étendent qu'à une petite distance de leur point de formation, tandis que les cyclones peuvent couvrir une surface circulaire dont le diamètre varie de cent jusqu'à cent cinquante milles marins. En même temps qu'il tourbillonne avec une vitesse qui va croissant de la circonférence au centre, où règne un calme complet, le cyclone obéit à un mouvement de translation dont la vitesse, comme celle du mouvement de rotation, varie suivant l'intensité de l'ouragan, et augmente à mesure qu'il progresse.
Les études poursuivies, depuis le commencement du siècle, par d'éminents météorologistes, ont permis de suivre l'origine, la marche des cyclones, et d'en tracer la route. -
Les pierres tombées du ciel et l'évolution planétaire
Stanislas Meunier
- EHS
- 5 Mai 2022
- 9782381113821
L'homme a toujours commencé par voir, dans tout phénomène grandiose et inaccoutumé, une manifestation des puissances surnaturelles. Les superstitions relatives aux météorites sont de tous les pays et de tous les temps.
Un jour, une pierre étant tombée du ciel, l'Académie des sciences reçut de l'abbé Bachelay le résumé des dépositions faites par les témoins de la chute. Rien de plus net et de plus précis que ce récit, accompagné d'un fragment de la pierre : « Il parut du côté du château de la Chevalerie, près de Lucé, petite ville du Maine, un nuage orageux dans lequel il se fit entendre un coup de tonnerre fort et sec, à peu près semblable à un coup de canon ; on entendit à la suite, dans un espace d'à peu près deux lieues et demie, sans apercevoir aucun feu, un sifflement considérable dans l'air, et qui imitait si bien le mugissement d'un boeuf, que plusieurs personnes y furent trompées. Enfin, plusieurs particuliers, qui travaillaient à la récolte dans la paroisse de Périgné, à trois lieues environ de Lucé, ayant entendu le même bruit, regardèrent en haut et virent un corps opaque qui décrivait une ligne courbe, et qui alla tomber sur une pelouse, dans le grand chemin du Mans, auprès duquel ils travaillaient. Tous y accoururent promptement et trouvèrent une espèce de pierre dont la moitié environ était enfoncée dans la terre. Mais elle était si chaude et si brûlante qu'il n'était pas possible d'y toucher. »
Pour examiner le fait, l'Académie nomma une commission, dont était Lavoisier...
L'histoire des météorites mérite d'être étudiée ; et les incidents dont s'entoure la venue de ces « messagères célestes, » comme on a quelquefois appelé poétiquement les météorites, méritent à plus d'un titre d'être examinés. Le phénomène se produit tout à coup, sans aucun signe précurseur : un globe de feu apparaît dans les hautes régions de l'atmosphère : c'est le bolide... -
Il n'est point de fonction naturelle, si petite qu'elle paraisse, qui n'ait son rôle dans le grand mécanisme. Quel est donc le rôle de la rosée ?
Ce livre traite du phénomène de la rosée pour en étudier les causes, l'histoire et le rôle sur la nature.
« C'est par la rosée que la terre se défend contre les envahissements du froid ; c'est par ce phénomène bienfaisant que les plantes se sauvent de la gelée en reprenant à l'air la vapeur qu'elles y avaient mise en réserve et la chaleur qui s'y était cachée ; puis, quand le soleil reparaîtra au matin suivant, son premier effet, j'allais dire son premier soin, sera de ramener la rosée à l'état gazeux, de refaire la provision de chaleur qui s'est dissipée, afin que la nuit suivante elle puisse recommencer ses bons offices ; tout semble obéir aux lois mystérieuses d'une harmonie préméditée. »... -
Le journal est fils de l'imprimerie : il est impossible sans elle. Rapidité de publication, périodicité régulière, faculté de se multiplier à l'infini, condensation d'une foule de matières dans un étroit espace, toutes ces conditions, qui sont l'essence même du journal, ne pouvaient être réunies quand l'imprimerie n'existait pas. C'est donc dans les temps modernes, et encore à une date assez récente, qu'il faut placer la naissance des journaux...
Depuis que les journaux sont devenus une puissance, on leur a créé toute une généalogie. Le moyen-âge même a paru pour ces parvenus une origine trop récente, et c'est à Rome, en attendant la Grèce, qu'on a placé leur berceau. Au premier jour, quelque érudit, renchérissant sur ses devanciers, retrouvera dans des inscriptions de prétendues traces des journaux de Sparte et d'Athènes. Malgré l'autorité du docteur Johnson, malgré l'autorité plus considérable encore d'un des hommes les plus savants et les plus ingénieux de notre temps, on ne saurait voir des journaux dans les acta diurna de l'ancienne Rome. C'est avec aussi peu de fondement qu'on a fait naître les journaux à Venise : cette opinion repose uniquement sur l'étymologie du mot gazette, qui est incontestablement un mot vénitien. Au temps des guerres contre les Turcs, le gouvernement de Venise, pour satisfaire la légitime curiosité des citoyens, faisait lire sur la place publique un résumé des nouvelles qu'il avait reçues du théâtre de la guerre, et on donnait une petite pièce de monnaie, appelée gazetta, pour assister à cette lecture, ou pour prendre connaissance de ce qui avait été lu. De là, disent les étymologistes, le nom de gazettes appliqué aux feuilles volantes contenant des nouvelles, lorsque ces feuilles furent imprimées et livrées au public... -
Si l'on se reporte par la pensée à ce qu'étaient les colonies anglaises et à ce que sont les États-Unis aujourd'hui, on se demande quels puissants engins de civilisation ont pu favoriser, précipiter cet essor si rapide d'un peuple dont l'histoire, pour être courte, n'en est pas moins bien remplie, et à qui n'ont été épargnées ni les épreuves de l'adversité, ni celles, plus difficiles peut-être à supporter, d'une éclatante prospérité. L'exposition de Philadelphie a répondu à ces questions. En assignant à la presse à imprimer la place d'honneur dans la galerie des machines, les commissaires américains ont voulu rendre hommage à cette force dont Napoléon Ier disait qu'elle était plus à redouter que des centaines de mille baïonnettes. Elle l'a prouvé aux États-Unis ; elle y est parvenue à un tel degré de puissance et d'influence, elle a, sous un régime de liberté complète, donné des résultats parfois si inattendus qu'il nous a paru utile de résumer ici l'ensemble de nos études et de nos observations sur le journalisme américain...
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Peu de spectacles donnent au même degré que les ruines de Carthage l'impression de l'oubli qui recouvre les grandeurs du passé. Nulle part le Delenda Carthago ne vous saisit comme une aussi poignante réalité. Les Romains se sont acquittés en conscience de leur oeuvre, et la civilisation a achevé ce que le fer des vainqueurs avait épargné. Les pierres de Carthage, après avoir été réemployées dans la ville romaine, ont servi et servent encore tous les jours à édifier les maisons de Tunis ; les marbres de ses colonnes ornent les cathédrales de l'Italie et celles du midi de la France.
Du promontoire d'où l'on découvre au loin la baie de Tunis et la belle ligne des montagnes qui la ferment du côté du sud, le regard se promène sur des mouvements de terrain dans lesquels un oeil exercé peut seul reconnaître l'emplacement de l'ancienne Carthage. Pas même de ruines. Assez loin, du côté de Tunis, brillent au soleil deux flaques d'eau que l'on appelle les ports de Carthage et qui en formaient sans doute l'arrière-port. Les trous des grandes citernes, le cirque et l'amphithéâtre, tous deux d'époque romaine, et le long alignement des aqueducs qui fuient dans la direction de Zaghouan, voilà tout ce qui reste de Carthage. Non loin de la mer, se dresse sur la colline que l'on croit avoir été Byrsa, au milieu d'un terrain acheté par la France, la basilique de Saint-Louis, où ont été recueillies successivement les antiquités trouvées à Carthage, et qui en a été le premier musée et le seul, jusqu'au moment où René de La Blanchère eut aménagé le palais de la Manouba pour y réunir les résultats des fouilles de la direction des Antiquités en Tunisie. -
En considérant l'immensité de la mer et la fécondité prodigieuse, excessive, des animaux qui peuplent ce domaine, on s'imagine facilement qu'il y a là le siège d'une vie non moins étendue que le réceptacle où elle se déroule. C'est une erreur.
À l'inverse des continents, dont la flore et la faune étalent leur splendeur à peu près partout, les mers renferment leur production dans une zone relativement fort étroite. Une petite partie seulement de la surface de la terre est inculte et sans vie ; c'est le contraire qui existe sous les eaux : si le désert est là une exception, il est ici la règle ; car, autant la nature animée occupe de place sur le sol terrestre, autant elle en a peu sur le sol sous-marin. Tout ou presque tout ce que la mer contient de richesses utiles à la terre, par une admirable économie de ressorts providentiels, gît accumulé ou se meut concentriquement dans les régions riveraines ou sur les saillies du gouffre que l'on désigne sous le nom de bancs. -
Au printemps de 1853, je fus désigné par l'Amirauté américaine pour commander la seconde expédition que notre gouvernement envoyait à la recherche de sir John Franklin. M. Grinnell, qui avait si libéralement contribué à la première expédition, dont je faisais partie, mit à ma disposition le brick l'Advance, et M. Peabody de Londres, avec cette générosité qui lui a acquis tant de sympathies en Amérique, pourvut abondamment à l'installation de notre navire.
Nous étions dix-sept à bord ; équipage d'élite, s'il en fut jamais ; tous volontaires ; tous hommes énergiques, résolus, comprenant le danger, et préparés à lui opposer un coeur intrépide et un front calme. La seule loi du bord, à laquelle on ne manqua jamais dans tout le cours de notre longue et douloureuse expédition était : obéissance absolue au capitaine ou à son représentant ; abstinence complète de liqueurs fortes ; abstention absolue de tout langage grossier.
Partis de New-York le 30 mai 1853, nous mîmes dix-huit jours à gagner Terre-Neuve, où nous reçûmes l'accueil le plus cordial ; de là nous fîmes voile vers la baie de Baffin. Les sondages, exécutés avec le plus grand soin à l'entrée du détroit de Davis, dans l'axe même de cette baie, donnèrent en moyenne 1900 fathoms (3400 mètres), fait intéressant qui prouve que la chaîne sous-marine, qui s'étend entre l'Irlande et Terre-Neuve, subit une dépression au débouché du courant polaire dans le nord de l'Atlantique. -
Lorsqu'après une longue persistance des vents d'est, les vents d'aval commencent à prendre le dessus dans la Manche, leurs premières bouffées sont saluées sur les eaux de cette mer par un long frémissement de joie, et comme les abeilles qui, chargées du butin de la journée, volent de tous les points de l'horizon vers la ruche où le repos les attend, les équipages qui luttent péniblement au large ou se morfondent dans les abris du canal tendent leurs voiles et cinglent vers l'embouchure de la Seine. D'abord épars sur la vaste étendue de la mer, les navires se groupent à mesure qu'ils se rapprochent du but commun. L'atterrage leur est au loin signalé par le brusque affaissement des falaises du pays de Caux. Les escarpes éclatantes de blancheur que les érosions de l'Océan ont taillées de la vallée de la Somme à celle de la Seine dans le plateau crayeux expirent au cap de La Hève, et le talus de leurs éboulements se couvre à Ingouville d'arbres touffus et de somptueuses habitations : la plaine humide de Leure s'étend au pied du revers méridional du plateau, et la mobilité de ses rivages reproduit sous nos yeux les phénomènes maritimes qui en ont déterminé la formation...