La Grosse Francine dit : « On t'cherchait, la Mimi et moi on en a marre de t'voir tapiner chez nous, maintenant qu'la Gloria est crevée, faut plus faire chier. » Et la Mimi dit : « Tu vas r'tourner dans tes tasses, espèce de loque, t'es aussi déglingué qu'la Gloria. » Je m'accroche au comptoir de La Nuit, j'ai du mal à tenir debout. Je dis à la Grosse d'aller se faire foutre, j'essaye de lui balancer ma main sur la gueule, mes doigts se prennent dans sa perruque, je hurle de rire ; elle est chauve. Avec des gros nichons et des bottes de cow-boy. Elle se met à cogner en gueulant : « Sale crevard de pédé pourri, j'vais t'foutre ce déchet dehors ! Aide-moi, Mimi ! » Je suis allongé sur le trottoir, mon nez saigne, j'arrive pas à me relever, je vois des jambes. Un attroupement. Et puis la botte de Grosse Francine qui me pousse dans le caniveau « Sale enculé ! » Je gueule : « Bande de pouffiasses ! » Le reflet des néons sur le pavé mouillé. Je vois pas mon reflet dans le caniveau. D'un style incisif et cru qui deviendra la patte de D. Belloc, Néons éclaire les tôles mouillées des pissotières et l'asphalte de Pigalle. Néons est devenu un classique. "Éclatant, magnifique, comme toujours la vérité", (Marguerite Duras).
Mon enfance a été ordinaire, c'est-à-dire miraculeuse. Comme toutes les enfances. Depuis lors, ma vie, comme toutes les vies, s'ouvre d'elle-même à cette page qui n'a jamais été tournée. Ce livre est donc un miroir tendu vers ce qui est moins une époque révolue de mon existence, qu'une arête vive de mon être, une part obscure et radieuse que j'ai, jusqu'à présent, toujours considérée obliquement, à travers les transpositions de la fiction, les prestiges supposés de l'imaginaire, Pour la première, et sans doute l'unique fois, c'est à nu, à visage découvert, que j'ose regarder ce petit garçon à tignasse rebelle qui me ressemble à peine, un peu comme un fils à son père. Je m'efforce de ne pas lui prêter mes paroles et mes sentiments d'aujourd'hui ; je m'impose d'écouter son silence et, cependant, de ne pas trahir ses secrets. Je n'ai pas à le faire revivre, puisque tout, en moi, reste pétri de sa présence. Alors, d'une main malhabile de vieil écolier, j'écris, à l'encre violette, sous la dictée de ce maître exigeant ; je rature et corrige à sa demande... Mais j'ignore encore comment il va noter ma copie. La guerre a cassé mon enfance ; ou, pour parler de façon moins tragique, elle l'a pliée en son centre, en deux versants : avant, il y a surtout Bordeaux, la ville-mère, réduite à un simple lambeau brumeux et tiède, un peu crépusculaire, de "tissu urbain" : ce quartier Saint-Pierre tout proche des quais, espace clos mais ébranlé d'appels de sirènes, ouvert sur le monde invisible par l'énorme blessure, cautérisée de sel, de l'estuaire. Ensuite, les années de guerre et d'Occupation ont ressemblé - faut-il l'avouer ? - à d'interminables grandes vacances, en cette demeure bénie de mon grand-père maternel, à Mézin (Lot-et-Garonne), "maison d'haleine" couronnée par tout un royaume aérien de greniers dont j'ai longtemps été, parmi les cris des hirondelles et les sillages des défunts familiers, le seul habitant. Ce que, dans notre langage infirme, nous nommons "le passé" n'est, je le crois, qu'un lieu échappé au temps, un point illuminé de l'espace, où ceux que nous ne pouvons plus voir nous attendent, groupés, immobiles, silencieux, à l'ombre d'une terrasse baignée d'un invincible été, comme en ce tableau du peintre impressionniste Bazille, La réunion de famille, dont j'ai placé l'image au frontispice.
Perdu dans la montagne, non loin de la frontière espagnole, un village. La plus solitaire des maisons, le mas des Oubells, sombre bâtisse cachée au fond des bois, ferme au passant le regard de ses fenêtres. La nuit, derrière cette face aveugle, des cris s'élèvent qui émeuvent la forêt. Le Chouline, propriétaire du mas, est cependant populaire dans le canton. Il plaît à tous, il fait peur aussi et nul n'oserait percer le mystère des Oubells. La femme, la fille et le petit-fils de Chouline ne se décideraient pas, victimes terrorisées, à se plaindre. Il faut que le destin, amenant jusqu'au village des étrangers singuliers, Lucien Grégoire et Hernandez, suscite une justice qui n'a pas besoin de tribunaux...
« Il s'installe sur le palier, encerclé par les chaussures à réparer. Les rides se perdent sur son visage, il garde les yeux baissés. Ses mains sont longues et larges, elles bougent toutes seules, on voit les veines sombres qui serpentent sous sa peau. Il serre le cuir ruisselant contre son tablier, en amoureux, et lui coupe la gorge en même temps. Son couteau aiguisé fait dans la matière un bruit mat, attirant. D'une petite boîte ronde, il prend une petite poignée de clous qu'il met dans sa bouche, des clous à têtes rondes et plates qu'il avale. Il se laisse conduire comme les aveugles par le toucher. L'une de ses mains lève le marteau, l'autre exécute un rapide aller-retour. Un clou est apparu dans un pli de sa lèvre, il est passé entre ses doigts, frappé d'un coup unique, enfoncé dans la profondeur du cuir. Un autre suit aussitôt. Maman sort sur le palier et me prend par le bras. - Ne reste pas là. C'est un Palestinien. Une ombre passe dans son regard, je suis sur la piste. Ce cordonnier sans yeux fait partie de la nébuleuse dont il faut avoir peur. Je tiens une fraction du mystère, je ne le lâcherai pas. »
L'auteur, dans la droite ligne de l'école du regard, nous livre une vision tragique et drolatique du volatile handicapé qui vit en nous. Dindon, je suis, dindons, nous sommes.
Ensemble de sept textes minimalistes, cruels, incisifs.
Quand on sort du train après un long voyage à travers les dernières campagnes, on arrive là où on aurait déjà dû se trouver au départ, où on voudrait rester toujours, où on voulait arriver. On voudrait en repartir, le train nous manque maintenant. On reste un peu sur le quai. Comment ça s'appelle ici, où suis-je, où sommes-nous. où habitez-vous, avais-je demandé au chef de gare, mais aucune réponse, point de hochement de tête ni invitation à venir dormir chez lui.
Je vais avoir trente-quatre ans. Je n'aurai jamais d'enfants. de maison avec un jardin, une cave remplie de boîtes de jus de fruits. C'est inscrit en moi. Tout foire suite à une malédiction héréditaire. On ne peut rien contre ces trucs-là. Picoler pour ne pas se faire bouffer, pour ne pas montrer qu'on est un minable. Se payer des salopes de bar, afin de se donner l'illusion de valoir quelque chose. Je dis salopes de bar, je pense anges dépourvus d'ailes.
Mon amour, je disais, je voudrais que tu deviennes plus gras, que ton ventre grossisse encore, et encore... Il coupait. C'est ça, c'est ça, tu voudrais pas que je devienne moche, et con aussi, pendant qu'on y est ? Il n'y était pas du tout, vous voyez.
Longtemps. je me suis posé des questions sur mon goût pour les piques à l'égard des gays. Haine de soi ? Qui aime bien châtie bien ? Snobisme ? Vengeance ? En fait, le besoin de reconnaissance sociale exprimé par la soi-disant « communauté gay » m'angoisse tout autant que ses codes, et son adhésion, pour ne pas dire sa fascination, envers le consumérisme le plus clinquant. Mon expérience dans la communauté a été bien plus oppressante que celles vécues ailleurs. Peut-être est-ce dû au fait que je cherchais à tout prix à me trouver enfin un port d'attache, de peur panique, de partir à la dérive, pour de bon. Mais, pour arrimer ma barque tant bien que mal, j'ai dû faire tellement de concessions... That joke isn't funny anymore. Ce livre, s'il n'intéresse personne, aura au moins eu pour moi un effet bénéfique : je ne tiens plus à vivre dans l'ennui, médiocre, ad lib. Je vais apprendre à dire : « NON ». Moche, vide, folle paumée et morte. Mais seul, et débarrassé de toutes ces « I will surviveries ». Enfin seul. Un déviant.
Août 1525. Après une pénible traversée, des conquistadores revenant du nouveau monde aperçoivent enfin les côtes de leur terre natale, mais ils ne reconnaissent rien. Les uns pensent avoir atteint l'Eldorado, les autres êtres tombés en enfer ; en fait ils ont seulement été victimes d'un décalage horaire d'une inhabituelle amplitude. L'Atlantique traversé d'ouest en est semble avoir baigné d'une seule vague les rives du 16e et du XXe siècle : deux époques se télescopent. Les aventures de trois conquistadores et d'une jeune indienne errant d'un camp militaire à un palace en passant par une université, une prison, un hôpital et des catacombes, donnent la mesure des ravages provoqués par cette collision. Les hommes et leurs opinions ont subi un tête-à-queue. Quant à la jeune indienne, objet du désir des trois autres, qui furent pour elle, tour à tour, dieu incarné, soudard violeur et amant de circonstance, elle empêchera peut-être par ses étranges dérobades que la collision devienne une molle collusion. Grâce à l'ironie et à la logique de l'absurde, humour, lyrisme, fantastique et réalisme se mêlent pour donner à ce livre les dimensions d'une grande fresque baroque.
Trois amis, réunis au cours d'une soirée, abordent un certain nombre de thèmes « funèbres ». Le mot « vanité » évoque ces natures mortes anciennes où, le plus souvent, figurait un crâne. Cet essai dialogué, on le voit, est une méditation sur la mort - et sur le crâne - qui est, pour Michel Butor, au fond de toute littérature. Faut-il le rappeler ? Le romancier de « La Modification », de « Passage de Milan », de l'admirable « Emploi du temps », de « Degrés », est aussi un prodigieux inventeur de formes sans cesse renouvelées et surprenantes.
Trois amis, réunis au cours d'une soirée, abordent un certain nombre de thèmes « funèbres ». Le mot « vanité » évoque ces natures mortes anciennes où, le plus souvent, figurait un crâne. Cet essai dialogué, on le voit, est une méditation sur la mort - et sur le crâne - qui est, pour Michel Butor, au fond de toute littérature. Faut-il le rappeler ? Le romancier de « La Modification », de « Passage de Milan », de l'admirable « Emploi du temps », de « Degrés », est aussi un prodigieux inventeur de formes sans cesse renouvelées et surprenantes.
Le soleil avait depuis le matin recommencé de moudre la poussière du monde. Adossé à la boutique, Doneggan mâchait un petit cigare amer, et regardait le Révérend Snub, titubant, s'avancer dans la grand-rue de Crosby, la tête bandée et le chapeau à bout de bras. Une mélopée des Noirs montait droit dans l'air comme une fumée. C'était le soir de la mort de Miss Hornby, dans la chaleur de ce lamentable été. « Où est McPherson ? Où sont-ils tous ? » demanda le Révérend. Il avait la mâchoire qui tremblait. Don cracha le petit cigare et dit « J'crois qu'y sont partis lui faire la peau, à ce négro. Feriez mieux d'aller vous allonger ». Alors, Don sentit tout le poids d'Hilda peser contre lui. C'était comme la vie qui tombait, la face dans la poussière. L'Été jaune, un été comme d'autres, dans une petite ville du sud-est des États-Unis, en 1937. Tassée sur ses souvenirs et mijotant ses violences au nom de Dieu, Crosby rassemble une étonnante série de figures - familles déchues du vieux Sud, yankees mal acceptés, types un peu simples ou un peu fous, ou qui passent, tels Jeb le métis indien ou le vieux Doc Henry, ou Boyd l'enfant aveugle, comme des anges douteux ou des prophètes dérisoires. Mais si l'Amérique est peut-être la terre biblique des temps modernes, le sacrifice n'y annonce pas de rachat.
Où commence, où finit l'imagination lorsque le romancier tient dans sa ligne de mire « les proches », parents ou amis, dont il s'aperçoit un beau jour qu'il ne savait rien d'eux ou presque ? Des bribes d'anecdote, des « on-dit » ont servi de base au narrateur pour rétablir le fil ténu qui relie les uns aux autres ces témoins irréels de sa vie passée. Ils semblent sortir de la tombe pour proclamer leur vérité qui, peut-être, est mensonge. Voici tour à tour les cousins, les oncles et les tantes, le père, la mère, les amis les plus chers. On dirait qu'ils se tiennent la main pour entourer de leur ronde fantomatique celui qui les a pressentis plus que connus et qui leur doit sa propre existence. Il semble bien que le temps travaille en faveur de cet étrange monde tribal dont il est finalement bien difficile de se détacher et que l'on nomme « la famille ».
Pour concevoir Credo, Jean-Claude Carrière est parti d'un fait réel : dans les années 1970, un historien ukrainien, Valentin Moro, fut arrêté par la police soviétique, longuement interrogé puis finalement interné comme fou « parce qu'il croyait en Dieu ». L'auteur tente de reconstituer ce dialogue, de donner aux uns et aux autres les meilleurs arguments possible. Tous les personnages sont de bonne volonté. Chacun veut aider l'autre. Mais un système rigide, une certitude de vérité, une impossibilité presque physique d'admettre des idées différentes entraîneront l'inévitable enfermement. CREDO n'est ni un pamphlet politique, ni une profession de foi. Chacun des antagonistes exprime librement ce qu'il croit. Où s'arrête la liberté de l'autre, sa liberté de parler, telle est la question que pose CREDO, question qui n'a cessé d'agiter le monde.
C'était il y a quatorze ans et ils sont tous encore là : Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Michel Rocard, Jacques Chaban-Delmas, Edgar Faure, Georges Marchais, Alain Krivine, Arlette Laguiller, et même Pierre-Auguste Messmer. Nous nous plaisons à les revoir dans leurs commencements. Voici pourquoi nous rééditons cette pièce : pour rire. * « C'est un événement politico-humoristico-littéraire d'une drôlerie et d'une rosserie exceptionnelles. » Le Point « Michel-Antoine Burnier, Bernard Kouchner et Frédéric Bon s'y sont pris comme Corneille, Racine et Molière. Ni mieux ni pis. » Guy Sitbon Le Nouvel Observateur « Une tragédie classique. » L'Express « Ça aurait fait rire le président Pompidou, s'il avait eu moins mal au cul. » Delfeil de Ton Charlie Hebdo « Il faut savoir un gré infini à Monsieur Balland d'avoir publié cette oeuvre importante. » Yvan Audouard Le Canard Enchaîné. « Der « Esprit » ist noch nicht aus Frankreich entflohen. » Werner Bkenkamp Frankfurter Allgemeine Zeitung
La femme de Max, Gabrièle, s'absente pour quelques mois. Max, quarante ans, dans la solitude de sa maison, est confronté à son ordinateur d'échecs. Mais d'une semaine à l'autre les qualités, ou les défauts, de l'ordinateur, imperturbable, se communiquent à l'homme. Le voici joueur froid, plus efficace peut être. Du jeu à la vie, que peut devenir cette efficacité sans trouble ? Menace ou promesse ? Pour lui, et pour l'humanité à venir ? Réponse, début de réponse, sans doute, dans le retour de Gabrièle, s'il remet à leur place les soixante-quatre cases ternes ou éblouies d'un jeu sans pareil. Les « Soixante-quatre coquelicots » est un roman d'amour, amour pour les échecs, amour pour une femme.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.
Au sud de l'Inde, face à un océan qui menace, naufragent d'étranges figures. Liza Swann, modèle et passion du peintre Julius Terman, danseuse au corps détruit par un accident, Kabir enfant muet, amoureux du soleil, Shanti le libraire qui refuse de vendre ses livres, Chalon l'alcoolique, grand amateur de singes et de grimaces, Maria Luisa la veuve espagnole recluse dans ses rêves... Ces personnages se croisent, se guettent, se heurtent, se modèlent les uns les autres dans ce bout de terre où chacun, réduit à ses hantises et à sa part de vérité, contribue à faire surgir la figure essentielle du roman : le portrait de Julius Terman. Apparaît soudain Théo Akkermon, jeune esthète et critique d'art. Venu interviewer Terman, il se trouve brutalement confronté à la décrépitude d'un artiste qui, impuissant à créer, s'obstine à survivre. Convaincu que la grâce de l'art est octroyée pour toujours, il va pénétrer avec violence dans l'univers du peintre, jusqu'à découvrir et exorciser un passé qui le détruit.
Un homme part à la recherche de sa vie dans le dessein de lui trouver une figure qui le rassure sur son identité. Mais il ne tarde pas à nous confier qu'il ne peut rien décrire qui soit sûr et que ses propres souvenirs ne lui proposent que des images privées de réalité. Aussi se croit-il autorisé à douter de tout. Il va alors s'enfermer dans « l'usine de l'esprit » comme s'il voulait nous convaincre que s'il n'a rien à dire sur sa vie c'est qu'il l'a passée dans sa tête à confronter des idées avec la réalité. Et pour mieux nous masquer une existence solitaire, il n'hésite pas à se poser devant nous comme un phénomène égaré dans un monde auquel il a préféré ne pas participer, estimant que chacun, à sa manière, peut occuper son temps à se poser des questions et y répondre en se servant de son imagination. C'est là, semble-t-il nous dire, une hygiène de l'esprit qui, écartant vanités, passions, et tous les embarras du quotidien, peut nous consoler d'être nés et d'ignorer ce que nous faisons sur terre.
"Si j'avais été jolie, j'aurais été putain. Je suis laide, je suis factrice." C'est par ce constat, dressé par l'héroïne elle-même, que débute ce roman.... pour autant, cela ne l'empêche pas d'afficher une liste des célibataires sur son mur, avec nom, âge et inconvénients... Au fil de ses tournées de factrice, Mado vous intègre à son village et vous convie à prendre part à son quotidien.... coloré.
Un jour, une rame de métro décide de poursuivre sa route, sans se soucier des rails, des stations, des têtes de ligne. Un jour, on ouvre un livre, on commence à le lire, on part avec lui. On a commencé à écrire un livre, avec lui on est parti. Le métro s'enfonce sous la terre, dans la terre, il s'en va. Les mots se succèdent, se précèdent, ils sont là, ils ne sont jamais là, ils vont. Les voyageurs se découvrent de nouveaux rapports, ils sont emportés. Ils commencent enfin à se voir, se parler, s'aimer. Les mots sont des voyageurs, nous sommes leurs passagers. Leur mouvement et leur énergie témoignent seuls de notre vie.
Comme la plupart des personnes convenables, en ce temps-là, Monsieur Léopold possédait un papa, une maman, deux grandes soeurs en proie au démon, un chien de race incertaine nommé Médor, une lanterne magique et l'Île mystérieuse dans la grande édition Hetzel. Tout ce monde vivait à Senlis dans une assez vaste maison où séjournèrent la Du Barry et Sarah Bernhardt, encore que rien ne soit moins sûr. Les grandes vacances les menaient à la mer ou à Venise, la famille visitait des églises estimées et des collections de tableaux anciens. Intéressé très tôt par les problèmes d'anatomie, il montrait ainsi un esprit scientifique qui devait le poursuivre toute son existence et contrarier un goût inné de la religion. Puis le désir de l'aventure le saisit pour l'expédier faire le négoce du jade et de l'ivoire dans les mers de Chine, où l'on perd soudainement sa trace.