À l'été 1953, un jeune homme de 24 ans, fils de bonne famille calviniste, quitte Genève et son université, où il suit des cours de sanscrit, d'histoire médiévale puis de droit, à bord de sa Fiat Topolino. Nicolas Bouvier a déjà effectué de courts voyages ou des séjours plus longs en Bourgogne, en Finlande, en Algérie, en Espagne, puis en Yougoslavie,
via l'Italie et la Grèce. Cette fois, il vise plus loin : la Turquie, l'Iran, Kaboul puis la frontière avec l'Inde. Il est accompagné de son ami Thierry Vernet, qui documentera l'expédition en dessins et croquis.
Ces six mois de voyage à travers les Balkans, l'Anatolie, l'Iran puis l'Afghanistan donneront naissance à l'un des grands chefs-d'oeuvre de la littérature dite " de voyage ",
L'Usage du monde, qui ne sera publié que dix ans plus tard - et à compte d'auteur la première fois - avant de devenir un classique.
Par son écriture serrée, économe de ses effets et ne jouant pas à la " littérature ", Nicolas Bouvier a réussi à atteindre ce à quoi peu sont parvenus : un pur récit de voyage, dans la grande tradition de la découverte et de l'émerveillement, en même temps qu'une réflexion éthique et morale sur une manière d'être au monde parmi ses contemporains, sous toutes les latitudes.
Sous une nouvelle couverture, enrichie d'un important chapitre sur la médiation et la résolution des conflits, voici la troisième édition de l'ouvrage phare de la Communication NonViolente, traduit dans plus de 30 langues et vendu à 170 000 exemplaires en France. Grâce à des histoires, des exemples et des dialogues simples, ce livre permet d'améliorer radicalement et de rendre vraiment authentique notre relation aux autres.
La plupart d'entre nous ont été élevés dans un esprit de compétition, imprégnés de préjugés et d'intolérance. Cette éducation nous conduit le plus souvent à une mauvaise compréhension des autres. Elle engendre au quotidien de la colère, des frustrations et des comportements agressifs.
Une communication de qualité avec les autres est une des compétences les plus précieuses qui soit, dans sa vie personnelle comme au travail.
Marshall Rosenberg met ici à notre disposition un outil très simple dans son principe, mais extrêmement puissant dans ses effets : la Communication NonViolente. Découvrez cette méthode accessible pour améliorer votre relation aux autres.
Soutiens-gorge rembourrés pour fillettes, obsession de la minceur, banalisation de la chirurgie esthétique, prescription insistante du port de la jupe comme symbole de libération : la " tyrannie du look " affirme aujourd'hui son emprise pour imposer la féminité la plus stéréotypée. Décortiquant presse féminine, discours publicitaires, blogs, séries télévisées, témoignages de mannequins et enquêtes sociologiques, Mona Chollet montre dans ce livre comment les industries du " complexe mode-beauté " travaillent à maintenir, sur un mode insidieux et séduisant, la logique sexiste au coeur de la sphère culturelle.
Sous le prétendu culte de la beauté prospère une haine de soi et de son corps, entretenue par le matraquage de normes inatteignables. Un processus d'auto-dévalorisation qui alimente une anxiété constante au sujet du physique en même temps qu'il condamne les femmes à ne pas savoir exister autrement que par la séduction, les enfermant dans un état de subordination permanente. En ce sens, la question du corps constitue bien la clé d'une avancée des droits des femmes sur tous les autres plans, de la lutte contre les violences à celle contre les inégalités au travail.
La maison, le chez-soi : de ce sujet, on a souvent l'impression qu'il n'y a rien à dire. Pourtant, la maison est aussi une base arrière où l'on peut se protéger, refaire ses forces, se souvenir de ses désirs, résister à l'éparpillement et à la dissolution. Un bel essai, intelligent et sensible, par l'auteure de Beauté fatale.
Le foyer, un lieu de repli frileux où l'on s'avachit devant la télévision en pyjama informe ? Sans doute. Mais aussi, dans une époque dure et désorientée, une base arrière où l'on peut se protéger, refaire ses forces, se souvenir de ses désirs. Dans l'ardeur que l'on met à se blottir chez soi ou à rêver de l'habitation idéale s'exprime ce qu'il nous reste de vitalité, de foi en l'avenir.
Ce livre voudrait montrer la sagesse des casaniers, injustement dénigrés. Mais il explore aussi la façon dont ce monde que l'on croyait fuir revient par la fenêtre. Difficultés à trouver un logement abordable, ou à profiter de son chez-soi dans l'état de " famine temporelle " qui nous caractérise. Ramifications passionnantes de la simple question : " Qui fait le ménage ? " ; persistance du modèle du bonheur familial, alors même que l'on rencontre des modes de vie bien plus inventifs...
Autant de préoccupations à la fois intimes et collectives, passées ici en revue comme on range et nettoie un intérieur empoussiéré : pour tenter d'y voir plus clair et de se sentir mieux.
On la dit laide, revêche, frigide, avare, aigrie, ennuyeuse et ennuyée. On l'imagine avec ses chats, ses pelotes de laine et sa solitude. Parce qu'elle n'a pas eu la chance de trouver un mari ou de faire des enfants, la vieille fille représente un échec. Elle est celle qui n'a pas joué ou qui a perdu au jeu de l'amour. Elle est ce que l'on ne souhaite pas aux jeunes filles de devenir, une image épouvantail.
Pourtant, la vieille fille a-t-elle vraiment un destin aussi peu enviable ? Lui a-t-on d'ailleurs demandé son avis ? Et si la vieille fille ne racontait finalement pas tant sa propre condition qu'elle ne tendait un miroir à celles qui ont eu la chance de ne pas connaître ce sort honteux ? Si elle était plutôt celle qui échappe aux carcans, à la surveillance, aux loyautés et aux alliances impossibles à défaire, à l'espace et au temps constamment partagés ?
Journaliste, Marie Kock est aussi ce qu'on appelle une " vieille fille ". Mêlant récit personnel, pop culture et études sociologiques, Vieille fille formule une hypothèse : qu'il est possible d'inventer d'autres manières de vivre, pour soi et avec les autres, de trouver l'amour ailleurs, autrement. D'avoir, simplement, envie d'autre chose.
Partout en Europe, et indépendamment des scandales qui les traversent, les Églises chrétiennes font face à des difficultés majeures et voient de plus en plus de fidèles déserter leurs rangs. On pourrait sans doute s'en réjouir. Après tout, la religion peut être perçue comme une force obscurantiste et réactionnaire, voire archaïque, un obstacle dressé face aux choix rationnels et aux élans émancipateurs de la modernité.
Le célèbre sociologue Hartmut Rosa, lui, suggère une tout autre analyse et s'inquiète des effets de cette crise : que se passe-t-il quand la religion dans son ensemble n'a plus d'écho dans les sociétés démocratiques ? Que perd la société quand la religion n'y joue plus aucun rôle ? Quel est l'avenir d'une démocratie sans religion ? Est-il vraiment sage de renoncer au riche trésor du religieux ?
Avec son acuité habituelle, Hartmut Rosa nous montre que cette situation de crise aiguë coïncide avec le triomphe d'un rapport instrumental au monde né à l'aube de la modernité capitaliste. Ainsi, ce que nous perdrions avec l'effacement de la religion, ce ne sont pas seulement une série d'histoires, de croyances ou de rituels, mais avant tout une capacité à entrer en résonance avec le monde, à le laisser venir à nous et à lui permettre de guérir des traumas que nous lui avons infligés.
La multiplication récente des violences policières, des morts et des blessés qu'elles ont entraînés, a rappelé à quel point l'usage de la force est corrélé au pouvoir d'État. Pour autant, ces violences restent largement impensées, généralement considérées comme la conséquence de contradictions internes à la gestion de l'ordre néolibéral. Or les violences qui ont conduit à la mort de Nahel M., à celle de Rémi Fraisse, à celle de Cédric Chouviat, comme celles qui ont consisté à mettre à genoux les lycéens de Mantes-la-Jolie ou à mutiler des gilets jaunes n'ont ni les mêmes modalités ni les mêmes rationalités.
Fondé sur l'analyse des dossiers judiciaires auxquels l'auteur a eu accès, ce livre montre que les armes, les techniques, les pratiques et les objectifs, ainsi que les réactions politico-médiatiques et les traitements judiciaires diffèrent selon que les violences ciblent une expression politique, l'exercice d'une liberté de circulation ou la simple appartenance ethno-raciale.
Discipliner, punir, instaurer ou restaurer un rapport de domination, territorialiser l'espace public, l'espace privé, les flux de circulation et, dans les cas les plus extrêmes, exprimer une violence pure - celle de l'antique pouvoir de vie et de mort -, telles sont les différentes fonctions des violences policières. Cette distinction permet de mieux saisir les rapports de pouvoir qui s'expriment entre l'État et la population et entre la police et des groupes sociaux déterminés. Elle offre aussi des prises pour tenter de répondre à une question plus fondamentale : la violence est-elle constitutive du pouvoir, un moyen de son exercice ou une condition de sa possibilité ?
Le capitalisme engendre des besoins artificiels toujours nouveaux. Celui de s'acheter le dernier iPhone, par exemple, ou de se rendre en avion dans la ville d'à côté. Ces besoins sont non seulement aliénants pour la personne, mais écologiquement néfastes. Leur prolifération sous-tend le consumérisme, qui aggrave l'épuisement des ressources naturelles et les pollutions. À l'âge d'Amazon, le consumérisme atteint son " stade suprême ".
Ce livre soulève des questions simples : comment couper court à cette prolifération de besoins artificiels ? Comment sortir par là même du consumérisme capitaliste ? La réflexion s'appuie sur des chapitres thématiques, consacrés à la pollution lumi neuse, à la psychiatrie de la consommation compulsive ou à la garantie des marchandises, pour élaborer une théorie critique du consumérisme. Elle fait des besoins " authentiques " collectivement définis, en rupture avec les besoins artificiels, le coeur d'une politique de l'émancipation au XXIe siècle.
Comme disait Marx, " une révolution radicale ne peut être que la révolution des besoins radicaux ".
Depuis septembre 2022 des femmes et des hommes, souvent jeunes, se sont engagés en Iran dans un travail de conquête politique et d'ouverture des possibles qui nous remue à un endroit précis : celui de la possibilité, toujours, du soulèvement. Voici la chronique à distance d'une révolte qui s'est installée dans la durée avec surprise, audace et incertitude. Ce long automne insurrectionnel convoque aussi d'autres séquences de l'histoire iranienne, se trouve éclairé par d'autres mouvements, d'autres mémoires de luttes et de violences. Une histoire longue du pouvoir et de la résistance, que Chowra Makaremi connaît par son passsé familial, par ses recherches également, en tant qu'anthropologue attentive aux contre-archives et aux émotions collectives.
L'autrice donne aux événements une profondeur de champ qui permet d'en identifier les genèses multiples, et de saisir le basculement révolutionnaire irréfutable qu'ils représentent. Elle compose une archive à la lumière orange des feux de rue, devenus le symbole d'une révolte qui se vit comme une combustion de colère, une profanation, une contagion.
Le 13 juillet 1993, un " Appel à la vigilance ", signé par quarante figures de la vie intellectuelle française et européenne, alertait sur la banalisation des discours d'extrême droite dans l'espace éditorial et médiatique. Ses signataires rappelaient que ces discours " ne sont pas simplement des idées parmi d'autres, mais des incitations à l'exclusion, à la violence, au crime " et que, pour cette raison, " ils menacent tout à la fois la démocratie et les vies humaines ". En conséquence, ils proclamaient s'engager " à refuser toute collaboration à des revues, des ouvrages collectifs, des émissions de radio et de télévision, des colloques dirigés ou organisés par des personnes dont les liens avec l'extrême droite seraient attestés ".
Trente ans ont passé, et c'est peu dire que cette alerte n'a pas été entendue, notamment en France. Avec le recul, cet " Appel à la vigilance " prend la stature d'une prophétie ayant tôt cherché à conjurer ce qu'il nous faut aujourd'hui combattre : l'installation à demeure dans l'espace public des idéologies xénophobes, racistes, identitaires, rendant acceptables et fréquentables les forces politiques qui promeuvent l'inégalité des droits, la hiérarchie des humanités, la discrimination des altérités. Quand avons-nous baissé la garde ? Quelle est la responsabilité des journalistes et des intellectuels dans cette débâcle ? Comment, au nom de la liberté de dire, de tout dire, y compris le pire et l'abject, la scène médiatique est-elle devenue le terrain de jeu d'idées et d'opinions piétinant les principes démocratiques fondamentaux ?
Dominer le monde, exploiter ses ressources, en planifier le cours... Le projet culturel de notre modernité semble parvenu à son point d'aboutissement : la science, la technique, l'économie, l'organisation sociale et politique ont rendu les êtres et les choses disponibles de manière permanente et illimitée.
Mais alors que toutes les expériences et les richesses potentielles de l'existence gisent à notre portée, elles se dérobent soudain à nous. Le monde se referme mystérieusement ; il devient illisible et muet. Le désastre écologique montre que la conquête de notre environnement façonne un milieu hostile. Le surgissement de crises erratiques révèle l'inanité d'une volonté de contrôle débouchant sur un chaos généralisé. Et, à mesure que les promesses d'épanouissement se muent en injonctions de réussite et nos désirs en cycles infinis de frustrations, la maîtrise de nos propres vies nous échappe.
S'il en est ainsi, suggère Hartmut Rosa, c'est que le fait de disposer à notre guise de la nature, des personnes et de la beauté qui nous entourent nous prive de toute résonance avec elles. Telle est la contradiction fondamentale dans laquelle nous nous débattons. Pour la résoudre, cet essai ne nous engage pas à nous réfugier dans une posture contemplative, mais à questionner notre relation au monde.
Matthew B. Crawford était un brillant universitaire, bien payé pour travailler dans un
think tank à Washington. Au bout de quelques mois, déprimé, il démissionne pour ouvrir... un atelier de réparation de motos. À partir du récit de son étonnante reconversion, il livre dans cet ouvrage intelligent et drôle une réflexion particulièrement fine sur le sens et la valeur du travail dans les sociétés occidentales.
Mêlant anecdotes, récit, et réflexions philosophiques et sociologiques, il montre que ce " travail intellectuel ", dont on nous rebat les oreilles, se révèle pauvre et déresponsabilisant. À l'inverse, il restitue l'expérience de ceux qui, comme lui, s'emploient à fabriquer ou réparer des objets - dans un monde où l'on ne sait plus qu'acheter, jeter et remplacer. Le travail manuel peut même se révéler beaucoup plus captivant d'
un point de vue intellectuel que tous les nouveaux emplois de l'" économie du savoir ".
À quoi renvoie le " Q " qui complète désormais le plus souvent les quatre lettres du traditionnel sigle LGBT ? " Queer " : est-ce une identité de genre ? une orientation sexuelle ? un mouvement politique ? une théorie académique ?
Alors que l'on voit depuis quelques années le terme " queer " fleurir sur les pancartes lors des Marches des fiertés et se multiplier dans les ouvrages théoriques portant sur le genre et la sexualité ou encore dans les mots des activistes féministes, cet ouvrage entend aider les lecteurs et lectrices à y voir plus clair dans ce vaste champ des études et mouvements queers. Politiques des identités, rôles de genre, privilèges, exclusion, performance, normativité, liens entre sexualité, identité de genre, race et classe, influence de la pop culture...
Queer Theory, une histoire graphique revient sur les concepts clés, les penseurs et penseuses les plus importantes - souvent peu connues du lectorat francophone -, les débats emblématiques et les événements historiques qui ont participé à l'émergence et la construction de la théorie queer.
Engagé et drôle, ce livre à mi-chemin entre l'essai et la bande dessinée est un portrait unique de l'univers de la pensée queer, depuis sa naissance jusqu'à ses développements les plus actuels.
La nuit de noces est un événement à la fois banal et singulier pour les femmes et les hommes de la France du XIXe et du premier XXe siècle : si le rite s'impose alors à presque tous, il constitue une expérience personnelle décisive pour chacun. La norme exige que les jeunes mariés attendent la première nuit suivant la cérémonie pour consommer sexuellement leur union, mais aussi qu'ils n'en retardent pas davantage le moment. Bien que ces quelques heures inaugurales de leur vie conjugale se passent portes closes et que la bienséance commande d'en conserver le secret, de puissants attendus familiaux, religieux et sociaux pèsent sur leur bon déroulement.
Pour dévoiler l'imaginaire et les réalités de la nuit de noces, cet ouvrage s'appuie sur des sources étonnantes et des archives exceptionnelles. Des procédures judiciaires engagées par des couples souhaitant se séparer donnent en particulier accès aux témoignages des époux eux-mêmes : le récit des paroles échangées, des gestes effectués, des émotions ressenties offre un éclairage unique sur les pratiques nuptiales, habituellement tues, et sur l'ignorance dans laquelle sont maintenues les jeunes filles jusqu'au soir du mariage. Le " viol légal " que certaines dénoncent apporte une profondeur historique aux réflexions actuelles sur le consentement.
Aïcha Limbada montre que la nuit de noces est vécue par les époux comme une véritable épreuve, au cours de laquelle les femmes doivent attester de leur virginité et les hommes de leur virilité, mais qu'elle est aussi appréhendée par les penseurs et les médecins comme un problème sanitaire et social majeur. De sa réussite dépendent le bonheur du couple et la perpétuation de la société, dont l'ordre repose sur une domination masculine que l'initiation féminine participe à instituer.
Vers 1800, la plupart des Français étaient des paysans, qui construisaient eux-mêmes leur maison, récoltaient leurs céréales, pétrissaient leur pain et tissaient leurs vêtements. Aujourd'hui, l'essentiel de ce que nous consommons est produit par un réseau de grandes et lointaines entreprises. En deux siècles à peine, la communauté paysanne autarcique s'est effacée pour laisser place à une myriade de consommateurs urbains et connectés.
Cet ouvrage retrace les grandes étapes de cette conversion à la consommation. Comment s'est constitué le pouvoir marchand ? Quels changements sociaux ont accompagné la circulation massive des marchandises ?
En parcourant l'Europe et l'Amérique du Nord des XIXe et XXe siècles, ce livre fait l'histoire de multiples dispositifs de marché : la marque insufflant à la marchandise sa valeur-signe, les mises en scène inventées par les grands magasins, l'ingénierie symbolique déployée par les relations publiques et la publicité... Il raconte la conversion des populations à la consommation et la fulgurante prise de pouvoir des marchands.
Un soir de mai 1975, le philosophe Michel Foucault contempla Vénus s'élever dans le ciel étoilé au-dessus du désert des Mojaves, dans la vallée de la Mort, en Californie. Quelques heures auparavant, il avait ingéré une dose de LSD offerte par les jeunes hôtes américains qui avaient organisé pour lui ce road trip hors du commun. Ce fut une nuit d'hallucination et d'extase, qu'il décrira comme l'une des " expériences les plus importantes de [sa] vie ", ayant bouleversé son existence et son oeuvre.
Cet épisode, rapporté par certains biographes, a longtemps été sujet à caution, considéré comme tenant davantage de la légende que de la réalité. C'était avant que ne soit redécouverte plus de quarante ans plus tard une archive étonnante : le récit détaillé de cette aventure, consigné à l'époque par Simeon Wade, le jeune universitaire californien qui avait entraîné l'auteur de l'
Histoire de la folie dans cette expérience psychédélique.
C'est l'hiver et la température avoisine les moins quarante degrés. Les yeux levés vers les aurores boréales qui animent le ciel arctique, nous écoutons. Le chasseur commence à siffler dans leur direction. C'est un son continu, aigu mais contenu, qui résonne dans le silence de la nuit polaire. Qui appelles-tu ? Elles, les aurores, et ceux qui transitent avec elles, les esprits des disparus, des hommes, des animaux, des plantes, qui courent sur un ciel glacial dans les explosions de couleurs. Qui sont ces hommes qui se nomment eux-mêmes les Gwich'in et peuplent les forêts subarctiques ? Et que dire du territoire qu'ils habitent, l'Alaska contemporaine ?
À l'heure du réchauffement climatique les mutations écologiques du Grand Nord sont telles qu'elles brouillent le sens commun et balayent toutes les tentatives de stabilisation, de normalisation et d'administration des écosystèmes arctiques et de leurs habitants. Loin de toute folklorisation indigéniste et de tout manifeste écologiste, ce livre s'attache à retranscrire les réalités des hommes qui parlent encore à l'ombre des arbres et sous le sceau de leur secret. Les âmes sauvages de l'Alaska sont celles qui se meuvent dans les plis d'un monde en révolution, et qui font de la métamorphose continuelle des choses et de l'incertitude des êtres un mode d'existence à part entière.
Peut-on continuer à faire de la politique comme si de rien n'était, comme si tout n'était pas en train de s'effondrer autour de nous ? Dans ce court texte politique, Bruno Latour propose de nouveaux repères, matérialistes, enfin vraiment matérialistes, à tous ceux qui veulent échapper aux ruines de nos anciens modes de pensée.
Cet essai voudrait relier trois phénomènes que les commentateurs ont déjà repérés mais dont ils ne voient pas toujours le lien -; et par conséquent dont ils ne voient pas l'immense énergie politique qu'on pourrait tirer de leur rapprochement.
D'abord la " dérégulation " qui va donner au mot de " globalisation " un sens de plus en plus péjoratif ; ensuite, l'explosion de plus en plus vertigineuse des inégalités ; enfin, l'entreprise systématique pour nier l'existence de la mutation climatique.
L'hypothèse est qu'on ne comprend rien aux positions politiques depuis cinquante ans, si l'on ne donne pas une place centrale à la question du climat et à sa dénégation. Tout se passe en effet comme si une partie importante des classes dirigeantes était arrivée à la conclusion qu'il n'y aurait plus assez de place sur terre pour elles et pour le reste de ses habitants. C'est ce qui expliquerait l'explosion des inégalités, l'étendue des dérégulations, la critique de la mondialisation, et, surtout, le désir panique de revenir aux anciennes protections de l'État national.
Pour contrer une telle politique, il va falloir
atterrir quelque part. D'où l'importance de savoir
comment s'orienter. Et donc dessiner quelque chose comme une
carte des positions imposées par ce nouveau paysage au sein duquel se redéfinissent non seulement les
affects de la vie publique mais aussi ses
enjeux.
FéminiSpunk est une fabulation à la Fifi Brindacier, qui raconte l'histoire, souterraine et infectieuse, des petites filles ayant choisi d'être pirates plutôt que de devenir des dames bien élevées. Désirantes indésirables, nous sommes des passeuses de contrebande. Telle est notre fiction politique, le récit qui permet à l'émeute intérieure de transformer le monde en terrain de jeu. Aux logiques de pouvoir, nous opposons le rapport de forces. À la cooptation, nous préférons la contagion. Aux identités, nous répondons par des affinités. Entre une désexualisation militante et une pansexualité des azimuts, ici, on appelle " fille " toute personne qui dynamite les catégories de l'étalon universel : meuf, queer, butch, trans, queen, drag, fem, witch, sista, freak... Ici, rien n'est vrai, mais tout est possible. Contre la mascarade féministe blanche néolibérale, FéminiSpunk mise sur la porosité des imaginaires, la complicité des intersections, et fabule une théorie du pied de nez. Irrécupérables !
Nous manquons, aujourd'hui en Europe, d'un projet écologiste capable de résister aux politiques d'étouffement, dans un monde de plus en plus irrespirable.
D'un projet initié dans les quartiers populaires, qui y articulerait enfin l'ancrage dans la terre et la liberté de circuler.
D'un projet dont le regard serait tourné vers l'Afrique et qui viserait à établir un large front internationaliste contre le réchauffement climatique et la destruction du vivant. D'un projet qui ferait de la Méditerranée un espace autonome et un point de ralliement des mutineries du Nord comme du Sud.
D'un projet se donnant comme horizon à la fois la libération des terres, la libération animale et l'égale dignité humaine, fondamentalement liées.
D'un projet assumant la sécession face à des forces d'extrême droite toujours plus menaçantes.
D'un projet permettant de prendre le large en quête du
One Piece, le fameux trésor du manga éponyme, devenu symbole, dans les quartiers populaires, de la soif de liberté qui y gronde.
D'un projet qui se mettrait à hauteur d'enfants et chercherait leur bien-être et leur libération.
Ce projet, c'est celui de l'
écologie pirate.
Les Étrusques, un peuple d'Italie disparu au Ier siècle av. J.-C. dans sa confrontation avec Rome, restent pour une grande part mal connus. Leur mode de vie comme leur système politique suscitent des interrogations et on comprend toujours mal leur langue, même s'ils ont adopté l'alphabet grec. Pourtant, les vestiges archéologiques abondent dans toute l'Italie centrale. On est toujours émerveillé par les célèbres fresques des tombes de Tarquinia qui mettent en scène leur vie quotidienne et semblent donner aux femmes un statut qui leur était refusé dans les autres cultures de l'Antiquité : le visiteur fait face à des Étrusques banquetant, jouant, dansant, dans une impression d'harmonie.
L'originalité de ce livre est d'explorer parallèlement l'histoire des Étrusques et l'histoire des tentatives faites au fil des siècles pour les comprendre, voire pour fabriquer des mythes... et des légendes. C'est une incroyable histoire de pillages, de mensonges, de falsifications, de simplifications outrancières que l'autrice restitue pour comprendre la fascination exercée par ce peuple qui a profondément influencé les Romains. En parcourant les sites les plus célèbres de l'histoire étrusque, Marie-Laurence Haack rend justice à l'extraordinaire singularité de ce peuple.
Reprenant l'invitation de Jacques Derrida à renverser la formule "
The West and the Rest " et à ne pas considérer la psychanalyse comme un pur produit de la civilisation occidentale, cet ouvrage collectif en présente une géo-histoire alternative.
À partir des marges, des " restes " venus d'autres continents, se dessinent ainsi des voies de circulations diverses, parfois inattendues, des appropriations excentrées, des réinventions créatrices.
Grâce aux regards croisés d'une trentaine d'auteurs du Nord et du Sud, on découvrira que la psychanalyse a existé et continue d'exister " ailleurs ", de l'Inde à Madagascar, en passant par le monde arabe, l'Afrique et les Caraïbes, ou encore la Chine contemporaine, sans oublier l'Amérique latine. Et qu'elle a activement pris part à la tâche cruciale et inachevée d'une décolonisation de soi, corollaire indispensable à toute émancipation politique.
À travers des textes panoramiques, des entretiens, des portraits et des transversales qui exposent les débats interdisciplinaires suscités par l'événement freudien,
Psychanalyse du reste du monde offre à la fois une autre histoire, un panorama inédit de lieux, de situations et de controverses dans lesquels la psychanalyse a été impliquée, et une cartographie de sa circulation, comme pratique et comme outil critique.
Sur ces bases, résolument élargies, il devient possible d'envisager autrement l'avenir et la place de la psychanalyse dans le monde postcolonial qui est désormais notre monde commun.
Dans cet ouvrage majeur publié en 1990 aux États-Unis, la philosophe Judith Butler invite à penser le trouble qui perturbe le genre pour définir une politique féministe sans le fondement d'une identité stable. Ce livre désormais classique est au principe de la théorie et de la politique queer : non pas solidifier la communauté d'une contre-culture, mais bousculer l'hétérosexualité obligatoire en la dénaturalisant. Il ne s'agit pas d'inversion, mais de subversion. Judith Butler localise les failles qui témoignent, à la marge, du dérèglement plus général de ce régime de pouvoir. En même temps, elle questionne les injonctions normatives qui constituent les sujets sexuels. Jamais nous ne parvenons à nous conformer tout à fait aux normes : entre genre et sexualité, il y a toujours du jeu. Le pouvoir ne se contente pas de réprimer ; il ouvre en retour, dans ce jeu performatif, la possibilité d'inventer de nouvelles formations du sujet. La philosophe relit Foucault, Freud, Lacan et Lévi-Strauss, mais aussi Beauvoir, Irigaray, Kristeva et Wittig, afin de penser, avec et contre eux, sexe, genre et sexualité - nos désirs et nos plaisirs. Pour jeter le trouble dans la pensée, Judith Butler donne à voir le trouble qui est déjà dans nos vies
Fêtes d'anniversaire de millionnaires, mégayachts sur la Côte d'Azur, bouteilles de champagne à 40000 dollars... C'est à la découverte du circuit mondial des boîtes de nuit de luxe et des soirées de la jet-set - de New York à Saint-Tropez - que nous convie Ashley Mears, ancienne mannequin devenue sociologue, dans un récit unique fondé sur une longue enquête en immersion.
Elle dévoile, dans une perspective féministe, le travail des "promoteurs " de club chargés de recruter, dans la rue ou à la sortie des agences de mannequins, des jeunes femmes vouées à agrémenter par leur présence les soirées des
very important people. Elles le font sans autre rémunération que les plaisirs passagers de la fête et du luxe, dans l'espoir d'accéder à des opportunités exceptionnelles. De leur côté, les clients fortunés, en exhibant des corps féminins "haut de gamme" et en faisant couler à flots un champagne hors de prix, se livrent à des joutes symboliques pour affirmer leur statut. Beauté, prestige, richesse et ambitions - largement illusoires - se mesurent et s'échangent ainsi lors de ces soirées VIP.
Dans un style vivant et incarné, l'autrice explore les coulisses de cet univers de la jet-set internationale pour mieux en déconstruire les fondements: l'exploitation des corps de belles jeunes femmes recrutées pour des hommes fortunés, la sexualisation des rapports sociaux, le gaspillage ostentatoire de l'argent comme rituel de domination, les logiques de don et contre-don chez les ultra-riches... Une expérience de lecture étourdissante, à l'heure où les inégalités atteignent des sommets.