S'abîmer Absence Adorable Affirmation Altération Angoisse Annulation Ascèse Atopos Attente Cacher Casés Catastrophe Circonscrire Cœur Comblement Compassion Comprendre Conduite Connivence Contacts Contingences Corps Déclaration Dédicace Démons Dépendance Dépense Déréalité Drame Ecorché Ecrire Errance Etreinte Exil Fâcheux Fading Fautes Fête Fou Gêne Gradiva Habit Identification Image Inconnaissable Induction Informateur Insupportable Issues Jalousie Je-t-aime Langueur Lettre Loquèle Magie Monstrueux Mutisme Nuages Nuit Objets Obscène Pleurer Potin Pourquoi Ravissement Regretté Rencontre Retentissement Réveil Scène Seul Signes Souvenir Suicide Tel Tendresse Union Vérité Vouloir-saisir
Que savons-nous du texte ? La théorie, ces derniers temps, a commencé de répondre. Reste une question : que jouissons-nous du texte ?
Cette question, il faut la poser, ne serait-ce que pour une raison tactique : il faut affirmer le plaisir du texte contre les indifférences de la science et le puritanisme de l'analyse idéologique; il faut affirmer la jouissance du texte contre l'aplatissement de la littérature à son simple agrément.
Comment poser cette question? Il se trouve que le propre de la jouissance, c'est de ne pouvoir être dite. Il a donc fallu s'en remettre à une succession inordonnée de fragments : facettes, touches, bulles, phylactères d'un dessin invisible : simple mise en scène de la question, rejeton hors-science de l'analyse textuelle.
R.B.
L'écriture et la différence
Ce qui s'écrit ici différence marque l'étrange mouvement, l'unité irréductiblement impure d'un différer (détour, délai, délégation, division, inégalité, espacement) dont l' économie excède les ressources déclarées du logos classique.
C'est ce mouvement qui donne une unité aux essais ici enchaînés. Qu'ils questionnent l'écriture littéraire ou le motif structuraliste (dans les champs de la critique, des " sciences de l'homme " ou de la philosophie), que par une lecture configurante ils en appellent à Nietzsche ou à Freud, à Husserl ou à Heidegger, à Artaud, Bataille, Blanchot, Foucault, Jabès, Lévinas, ils n'ont qu'un lieud'insistance : le point d'articulation dérobée entre l'écriture et la différence. À peser sur cette articulation, ils tentent de déplacer les deux termes.
Jacques Derrida (1930-2004)
Philosophe majeur du XXe siècle, initiateur de la " déconstruction ", il est l'auteur d'une œuvre considérable, dont, publiés au Seuil, La Dissémination (1972), Signéponge (1988) et Foi et savoir (2001).
S/Z
Sous ce titre, ou ce monogramme, transparaît une nouvelle particulièrement énigmatique de Balzac : Sarrasine. Texte qui se trouve ici découpé en " lexies ", stratifié comme une partition inscrite sur plusieurs registres, radiographié, " écouté " au sens freudien du mot.
" Si l'on veut rester attentif au pluriel d'un texte, il faut bien renoncer à structurer ce texte par grandes masses, comme le faisaient la rhétorique classique et l'explication de texte : point de construction de texte: tout signifie sans cesse et plusieurs fois, mais sans délégation à un grand ensemble final, à une structure dernière. "
R. B.
Roland Barthes (1915-1980)
Sémiologue, essayiste, il a élaboré une pensée critique singulière, en constant dialogue avec la pluralité des discours théoriques et des mouvements intellectuels de son époque, tout en dénonçant le pouvoir de tout langage institué. Il est notamment l'auteur du Degré zéro de l'écriture (1953) et de Fragments d'un discours amoureux (1977).
Ces Essais critiques sont un pan essentiel de la réflexion de Roland Barthes sur le théâtre et la littérature. Des auteurs classiques, comme Voltaire ou Baudelaire, y rencontrent des modernes, comme Queneau ou Robbe-Grillet ; mais il ne s'agit ni d'un palmarès ni d'une galerie d'exemples : du combat brechtien à "l'activité structuraliste", en passant par la naissance du "nouveau roman", se dessine ici le tracé d'une des expériences intellectuelles exemplaires de notre époque, qui est la découverte et l'exploration - à travers les domaines privilégiés de l'écriture littéraire et du langage théâtral - de cet inépuisable empire des signes, où la pensée moderne mesure son espace et son pouvoir.
Roland Barthes (1915-1980)
Sémiologue, essayiste, il a été directeur d'études à l'École pratique des hautes études et a élaboré une pensée critique singulière, en constant dialogue avec la pluralité des discours théoriques et des mouvements intellectuels de son époque.
La dissémination
" La Pharmacie de Platon, La Double Séance, La Dissémination : triple trajet dont le système est entraîné – ouvert et déporté – par une digression (digraphe aussi comme toujours) paraissant inédite. On pourrait la lire selon plusieurs modes, d'un bloc ou plus, avant ou après les autres, et par exemple comme un protocole méthodologique, une anatomie des préfaces ou une cartographie générale, etc. Ce Hors livre n'est donc pas seulement une fiction théorique. Jouant avec les trois autres, toute sa conséquence, il relance et déplace, suivant des règles angulaires, telles questions ou positions d'ailleurs engagées, en expose le corps à l'épreuve d'une tout autre scène : quand le travail de la différance sémantique comme différance séminale déconcerte silencieusement toute préséance. "
Jacques Derrida (1930-2004)
Philosophe majeur du XXe siècle, initiateur de la " déconstruction ", il est l'auteur d'une œuvre considérable, dont, publiés au Seuil, L'Écriture et la Différence (1979), Signéponge (1988) et Foi et savoir (2001).
Pourquoi pas de ponctuation visible ? Parce qu'elle vit pronfondément à l'intérieur des phrases, plus précise, souple, efficace ; plus légère que la grosse machinerie marchande des points, des virgules, des parenthèses, des guillemets, des tirets. Ici, on ponctue autrement et plus que jamais, à la voix, au souffle, au chiffre, à l'oreille ; on étend le volume de l'éloquence lisible !
Pourquoi pas de blancs, de paragraphes, de chapitres ? Parce que tout se raconte et se rythme à la fois maintenant, non pas dans l'ordre restreint de la vieille logique embrouillée terrestre, mais dans celle, merveilleusement claire et continue, à éclipses, des ondes et des satellites. Autour de quoi ça tourne chez l'être humain ? Des mille et une façons de s'illusionner sur le pouvoir et l'argent du sexe. Salut petite planète roulante et pensante dans sa galexie de galaxies !
Pourquoi pas une histoire mais cent mille histoires ? Parce qu'il n'y a plus à simuler et à encadrer, mais à faire déferler, le plus amplement, minutieusement et rapidement possible, la narration et sa mémoire qui vont de l'horreur au comique, du constat de mort répété à l'état mystique, de l'information critique à la méditation catastrophique, du biologique au métaphysique en passant, kabbalistement, par la dérision, l'obscénité et, bien entendu, le tragique.
Voilà le roman.
Pourquoi Paradis ? Parce que, même si j'étais en enfer, ce serait ma manière d'être. Parce que j'ai l'impression d'être entré par hasard dans l'immense humour du non-être. Lequel, pourtant, éprouve la nécessité inouïe d'être dit.
Philippe Sollers.
Essais
"Sade, Fourier et Ignace de Loyola ont été des classificateurs, des fondateurs de langues : langue du plaisir érotique, langue du bonheur social, langue de l'interpellation divine, chacun a mis dans la construction de cette langue seconde toute l'énergie d'une passion.
Cependant, inventer des signes (et non plus, comme nous le faisons tous, les consommer), c'est entrer paradoxalement dans cet après-coup du sens, qu'est le signifiant ; en un mot, c'est pratiquer une écriture. L'objet de ce livre n'est pas de revenir sur les propositions de contenu dont on crédite ordinairement nos trois auteurs, à savoir une philosophie du Mal, un Socialisme utopique, une mystique de l'obéissance, mais de tenir Sade, Fourier et Loyola pour des formulateurs, des inventeurs d'écriture, des opérateurs de texte.
Je crois ainsi poursuivre un projet ancien, dont l'intention théorique pourra se lire à travers ces études concrètes et spéciales : jusqu'où peut-on aller d'un texte en ne parlant que de son écriture ?" R.B.
Voici donc la critique au centre d'un débat singulièrement violent : les attaques dont, en France, " la nouvelle critique " vient de faire l'objet, ont pris l'allure d'un interdit collectif. A partir d'un certain nombre d'idées reçues, on ironise, on censure, on condamne. Cette activité négative est-elle cependant aussi innocente qu'elle le prétend ? Ne repose-t-elle pas sur des axiomes douteux ? des préjugés inavoués ? un langage qui trahit à la fois des résistances involontaires et une certaine gratuité de méthode ? Roland Barthes, dans une première partie, n'a aucune peine à démonter la mythologie dont l'ancienne critique use de façon courante.
Cependant, que doit chercher aujourd'hui la critique ? La littérature moderne (depuis Mallarmé, Lautréamont, Rimbaud, Proust, Kafka...), les développements de la linguistique et de la psychanalyse, obligent à un nouveau langage : celui-là même qui parle du langage. On peut enfermer un texte dans une lettre morte et bornée quand, au contraire, le sens littéral ne vit que de l' ouverture symbolique dont il est la marque. Ce livre, loin d'être seulement une mise au point dans une querelle déjà périmée, veut éclairer le changement profond de notre culture par rapport à la question centrale de l'interprétation, et introduire à cette nouvelle histoire qui touche au passé comme à l'avenir : la science de la littérature, sa critique et sa lecture devenant ainsi trois aspects complémentaires d'un même acte de vérité.
Refus du code social inscrit dès la structure de la langue ; prise sur la substance folle qui en réclame la liberté : le langage poétique est ce lieu où la jouissance ne passe par le code que pour le transformer.
Il introduit donc, dans les structures linguistiques et la constitution du sujet parlant, la négativité, la rupture.
Il faut lire un tel "langage" comme pratique : avec et à travers le système de la langue, vers les risques du sujet et l'enjeu qu'il introduit dans l'ensemble social. Irruption de la pulsion toujours sémiotique : moment de la négativité, éclatement de la structure signifiante dans le rythme, mise en procès du sujet. Nouvelle disposition du sémiotique dans l'ordre symbolique : temps de la limite, de l'énonciation, de la signification. Inséparables dans leur dialectique, ces deux mouvements font du langage poétique une pratique qui nous entraîne à repenser la logique de toute pratique. Lautréamont et Mallarmé sont les noms que porte, à la fin du XIXe siècle, cette expérience bouleversant la phonétique, le lexique, la syntaxe, les relations logiques, en même temps que l'"ego transcendantal". Dans la crise de l'Etat bourgeois, du droit paternel, de la religion, un sujet et son discours, qui se maintenaient depuis deux mille ans, s'effondrent. L'avant-garde du XXe siècle opère, en l'approfondissant, depuis cette révolution.
Ce titre dans son inscription grecque se veut un rappel muet des débuts occidentaux du savoir sur le signe et le sens. La sémiotique, ici, se propose comme le lieu depuis lequel s'articulera une théorie générale des modes de signifier. Visant en même temps à interroger ou à refondre les systèmes linguistiques et logiques par les analyses du sujet et de l'histoire appelées par Freud et Marx, elle se désigne comme une sémanalyse.
L'élaboration de la sémanalyse déplaçant les limites du signe, du sens, de la structure, devait nécessairement trouver pour point de départ un " objet exclu de l'ordre du savoir puisque soulignant ses bords: "la littérature" ".
Les raisons pour lesquelles ce livre ne peut pas comporter de présentation seraient sans doute aussi longues à exposer que ce livre lui-même. Il faut donc éprouver son rythme : dictions, timbres, accents, ponctuation latente, tourbillon, flot, appels. Au-delà de l'automatisme un calcul joue, veille, critique, partant à la fois de tous les points de l'histoire. Ce calcul se dit par masses dans l'unité discontinue de ses coupes. Il module, frappe, chuchote, apostrophe, marque, efface, compte, signale l'absence mouvante mais cependant adressée, dialoguée, de toute langue de fond. Il récite ses abréviations ivres, ses ensembles bordés d'excès. Il insiste et force l'oreille interne, radar tournant sous un souffle passant où il veut, quand il veut.
Voilà, détendez-vous, c'est clair. Restez sur le sens, c'est simple.
Ils sont deux, ici, dans la nuit. Tempo.
Ph. S.
Comment lever la contradiction entre discours et histoire ? Sinon par la sortie de la scène représentative qui maintient cette opposition ? Par un texte dont la permutation réglée ouvre, non pas sur une expression parlante, mais sur le réel historique constamment actif ? Entre l'imparfait (séquences 1/2/3) et le présent (séquence 4) formant une matrice carrée engendrant la narration et sa réflexion, s'inscrit le travail qui détruit toute "vérité" spectaculaire ou imaginaire. Cette destruction porte non seulement sur le "sujet" éventuel du récit - son corps, ses phrases, ses rêves - mais aussi sur le récit lui-même qui se renverse et s'immerge peu à peu dans les textes de différentes cultures. L'écriture commence ainsi à fonctionner "dehors", à brûler dans un espace se construisant, s'effaçant et s'étendant à l'infini de sa production. Un tel théâtre, sans scène ni salle, où les mots deviennent les acteurs et les spectateurs d'une nouvelle communauté de jeu, doit donc aussi permettre de capter, dans ses croisements de surfaces, notre "temps" : arrivée du dialogue entre Occident et Orient, question du passage d'une écriture aliénée à une écriture traçante, à travers la guerre, le sexe, le travail muet et caché des transformations. Le roman imprimé ici n'est pas un roman imprimé. Il renvoie au milieu mythique en train de vous irriguer, de se glisser en vous, hors de vous, partout, depuis toujours, pour demain. Il tente de dégager une profondeur mouvante, celle d'après les livres, celle d'une pensée de masses ébranlant dans ses fondations le vieux monde mentaliste et expressionniste dont s'annonce, pour qui veut risquer sa lecture, la fin.
Il n'y a qu'un territoire balayé de nos cris, nos murmures et de sons – engouffrés dans la mort. Mais tant d'autres réseaux. Viscères. Mots. Mémoires. Et toute cette absence qu'ils viennent constater.
Qu'ai-je écrit ? (en deux langues... Trois, peut-être... ou plus ?) Les corps à peine moites. Peaux hagardes, dissoutes. Souvenirs de la mère dits par la voix du fils, qui les confond aux siens. Elle, elle, elle, comme ébranlant des mondes, et de ses bras immenses, et les pères qui montaient. L'odeur de l'herbe chaude. Appels venus s'échouer dans la campagne anglaise. Noms coercitifs d'une Histoire en lambeaux. Manque un sexe. Les Christs sur leurs croix font semblant de survivre. C'est que c'est pas gagné. Les vaches permanentes, moucherons morts, les camps. Plan large, l'apocalypse. Mais nos histoires d'amour, comment les raconter.
L'Italie. Le matin. La couleur rose des pierres et du ciel. Le bruit d'ailes des pigeons. Après une nuit d'un intense vacarme intérieur. Vous émergez d'un état de fatigue tenace et ancienne. Harassé et pourtant doué étrangement d'une énergie neuve. Carrousels s'ouvre sur ce réveil-là, sur cette manière de naissance-là. Un de ces moments de lucidité aiguë qu'on connaît après dépression ou usage abusif de toxiques, au cours duquel l'histoire du monde et votre histoire singulière vous apparaissent soudain dans un fantastique télescopage de formes, de couleurs, de sons et de mots. Aux souvenirs personnels, aux images de votre débâcle intime, se mêlent visages et événements de l'histoire ancienne ou contemporaine. Le roman - à la fois autobiographie, essai, carnet de voyage, poème, récit historique, journal intime... - est construit autour de trois axes : trois voyages, effectués à un court intervalle l'un de l'autre, en Grèce, à Jérusalem, en Italie. Par le lien qu'il établit entre la chute d'un seul (il y a une référence constante à la fresque de Masaccio, Adam et Eve chassés du Paradis terrestre) et la dégringolade de tous, il constitue une invite à suivre le fil d'une vérité - d'une cruauté - qui court d'une catastrophe à la suivante. Aux couleurs des pierres et du ciel italiens, ajoutons un autre rose : celui des braises sur lesquelles nous marchons et qui nous donnent parfois, comme le suggérait Sade, ce bizarre air de danser.
Les analyses de littérature amorcées dans Figures I se poursuivent ici dans deux directions principales, qui en quelques points se croisent ou se rejoignent : théorie du récit, poétique du langage. Certains de ces carrefours, ou repères, se nomment Baroque, Balzac, Princesse de Clèves, Stendhal, Recherche du Temps perdu, d'autres : espace du texte, récit et discours, arbitraire et motivation, langage indirect. Critique et théorie littéraires éprouvent et manifestent ainsi leur écartement nécessaire et leur articulation féconde : irréductibles et complémentaires, à la recherche d'une nouvelle poétique.
L'intermédiaire
Pourquoi réunir dans un même livre des textes sur la peinture, des récits, des essais ? L'entreprise manquerait de fondement si un même sujet n'était concentré dans chacune de ces expressions.
L'intermédiaire peut être en effet cette région symbolique permettant de grouper, autour d'un seul acte de rêverie et de réflexion, les prises de vue en apparence les plus éloignées. Un tableau de Monet, une péripétie dramatique, la découverte humoristique des fonctions corporelles, l'esthétique secrète de Poussin, les prolégomènes d'une sorte de biographie intérieure, autant de questions qui posent la même question : recherche de l'unité dans la variété ; de la continuité perdue mais sans cesse présente à l'esprit sous la forme d'une note ou d'un silence dominants qui seraient, au fond, le la du réel.
Philippe Sollers
Ecrivain, fondateur de la revue et de la collection Tel Quel, fondateur et directeur de la revue L'Infini, il est membre du comité de lecture des éditions Gallimard.
Dans ce volume se trouvent réunis des textes écrits par Pierre Boulez entre 1948 et 1962. C'est dire que les plus anciens sont contemporains de ses premières compositions : Première Sonate, Sonatine pour flûte et piano, Soleil des Eaux, que les plus récents datent de l'époque où il achevait le second cahier de Structures et son Portrait de Mallarmé. Dans le même temps qu'il accomplissait son métier de compositeur, Pierre Boulez était porté à en appréhender la signification ; si acquérir la maîtrise de sa technique lui était, d'évidence, une nécessité, faire l'apprentissage du penser musical ne lui semblait pas moins essentiel. C'est pourquoi il s'applique à la critique, une critique poussée parfois jusqu'à la polémique. Qu'il s'agisse de Debussy, de Stravinsky, de Schnberg, de Berg, de Webern, de l'espace de la création musicale contemporaine, ce livre se révèle donc comme un témoin historique fondamental. Le grand compositeur qu'est Pierre Boulez y éclaire admirablement la richesse, la complexité, les contradictions, les problèmes de cette musique qui est celle de notre temps, même si notre temps échoue à la reconnaître. Par là, ce recueil est déjà la somme des acquisitions définitives de la musique moderne et ouvre sur son avenir le plus rigoureux.
Figures I rassemble dix-huit études et notes critiques écrites entre 1959 et 1965. A travers des sujets aussi divers que Proust et Robbe-Grillet, Borges et L'Astrée, Flaubert et Valéry, le structuralisme moderne et la poétique baroque, mais liées ici par un réseau continu d'implications réciproques, une question, constamment, reste posée : elle porte sur la nature et l'usage de cette étrange parole réservée (tout à la fois offerte et retenue, donnée et refusée) qu'est la littérature. La rhétorique classique, dont l'interrogation n'est pas encore refermée, voyait dans l'emploi des figures, c'est-à-dire d'un langage qui se dédouble pour cerner un espace et marquer sa distance, un des traits spécifiques de la fonction que nous appelons aujourd'hui littéraire. La littérarité de la littérature serait ainsi obscurément liée à cet espace intérieur où se trouble, et par là même se révèle, la littéralité du langage, à ce mince intervalle variable, parfois imperceptible, mais toujours actif, qui se creuse entre une forme et un sens, ouvert à un autre sens qu'il appelle sans le nommer. Mais la littérature tout entière - lettres, lignes, pages, volumes - ne dessine-t-elle pas comme une immense figure, toujours parfaite, jamais achevée, dont le texte immédiat parlerait, interrogativement, pour une signification plus distance - plus que distante - et n'offrant à déchiffrer, comme une trace sur le sol, que l'évidence de son retrait ?
Dans la collection Tel quel, dirigée par Philippe Sollers, Roland Barthes, Jean-Louis Baudry et Jacques Derrida se sont unis pour nous présenter ce livre, qui est une organisation de rappels et d'appels à l'autre côté d'une clôture dont le cercle serait apparu comme cercle, il y a une centaine d'années, et comme "autre côté" tout récemment. Il fallait à la fois éviter le piège métaphysique de la réunification et de la synthèse (retombée dans la clôture) et l'ignorance de l'après-coup structural ne faisant que déplacer le cercle (d'où nécessité d'interroger les fondements de plusieurs méthodes nées dans ce déplacement, par exemple l'idéologie linguistique). Voici quelles sont en somme les lignes de force de ce travail de rassemblement qui opère, quant à Tel Quel, de 1963 (date du colloque de Cerisy, cf. Tel Quel n° 17) à 1968 (date du colloque de Cluny, cf. la Nouvelle Critique, novembre 1968). Les noms de Foucault, de Barthes et de Derrida suffisent à souligner ce glissement temporel. Ceux de Lacan et d'Althusser seront retrouvés, dans leur position de leviers, à l'intérieur des différentes études.
La peinture a toujours été considérée comme l'inscription d'un "imaginaire" où l'improbabilité d'une articulation interne (la structure) renvoie paradoxalement son texte à des traductions (littéraires, esthétiques) ou à des interprétations (histoire et/ou critique d'art). C'est qu'en effet l'analyse picturale 1/ a sans cesse pris pour objet les constituants formels du tableau, c'est-à-dire une "ratio" de l'image qui n'en consacre que l'altérité (peinture/langage) ; altérité qui n'est essentiellement saisie que comme un déportement de notre lieu élocutoire. 2/ D'autre part elle n'a pu s'articuler que sur un circuit interprétatif supposant l'universalité des termes symboliques : chez Panofsky, par exemple, l'interprétation n'opère jamais que leur connexion. Par le déplacement critique de ces points de vue, l'analyse construit ici, comme probabilité structurale du tableau, la matrice à partir de laquelle tout texte (corpus) non construit sur cet espace s'y réintroduit pour le constituer : lecture et construction du tableau comme système de ses zones d'implicitation ; découverte aussi des conditions structurales d'une "pensée figurative". L'espace propre à cette pensée étant constitué par une implicitation de codes (rhétorique, numéral, géométrique, logique...) - dont la perspective s'est proposée comme la transcription symbolique (au sens analytique) et immédiatement idéologique : c'est donc un travail de désimplicitation de l'image qui articule cette analyse. La sortie en est donc double : réflexion sur le statut de l'image, mais théorie du texte représentatif - définition "structurale" d'une époque du tableau, de ce dont le tableau est aussi "épochè", retenue, suspension : de la "parenthèse" représentative. Le "titre" de ces opérations est "une partie d'échecs", tableau de Paris Bordone, peintre vénitien, élève du Titien.
« Compact porte bien son nom. Il s'agit non seulement d'un roman, mais aussi - et surtout - du corps que l'auteur a choisi de façonner, d'aménager en creux, en reliefs, en détours, tout cela enfermé dans les limites d'une forme parfaitement rigoureuse, parfaitement irrégulière : mate et scintillante, selon l'ambiguïté des plans. C'est un livre beau et dur. » Dominique Rolin, l'Observateur, 28 septembre 1966.
« Compact est composé selon une recette neuve. (...) L'ensemble donne une impression de nouveauté. » Claude Mauriac, le Figaro, 12 septembre 1966.
« Compact est la plus belle réussite de cette conception du roman, qui succède au Nouveau roman, et que l'on a appelé "structuraliste". » Maurice Nadeau, Le roman français depuis la guerre, Gallimard 1970.
« Compact est là, comme une expression et un besoin de notre temps. » R.-M. Albérès, les Nouvelles littéraires, 8 septembre 1966.
« Tout le livre, dans ses condensations, ses déplacements, est cette errance compacte à la poursuite - comme tactile - d'un nom, qui pourrait être l'espace de notre tombeau, un nom impossible à formuler, puisqu'il serait de toute façon un mot parmi d'autres, un mot d'une langue parmi d'autres, et ne pourrait contenir tous les mots dont nous sommes faits. » Philippe Sollers, les Lettres françaises, 1er septembre 1966.
Théorie de la littérature
Le recueil Théorie de la littérature, paru originellement en 1965, a révélé aux lecteurs français l'existence d'une remarquable école d'analyse littéraire, qui avait prospéré à Saint-Pétersbourg (ensuite Leningrad) et Moscou, entre 1915 et 1930. Depuis, ceux que leurs adversaires nommaient les formalistes sont devenus célèbres dans le monde entier. Le recueil a été traduit en italien, espagnol, portugais, japonais, coréen, turc et grec ; d'autres écrits des formalistes ont été publiés et traduits dans de nombreuses langues, et des ouvrages leur ont été consacrés.
La présente édition a été révisée et mise à jour, pour permettre de lire ou de relire cette réflexion toujours stimulante sur l'art littéraire, issue d'un groupe de brillants jeunes critiques et linguistes russes : Viktor Chklovski, Roman Jakobson, Iouri Tynianov, Boris Eichenbaum et quelques autres.
Préface de Roman Jakobson
Dernier acte ?
On se regarde mourir. L'on compose un chant, avec l'agonie.
On se donne un, en spectacle.
Tu seras là, dans une chambre sans doute, étendu sur un lit. À ton chevet quelqu'un. L'amante ? La mère ? La camar(a)de ? (« Laquelle des trois serait la plus sûre de ma mort ? »). Présence aussi d'un quidam donnant la question - un flic ? un prêtre ? un médecin ? Entre chaque variation de la même scène, se place un divertissement (!)
Reprises, répétitions, redites, comme pour tenter de retenir la vie qui s'en va - cette vie provisoire, définitivement.
M. R.