Tremblez, les sorcières reviennent ! disait un slogan féministe des années 1970. Image repoussoir, représentation misogyne héritée des procès et des bûchers des grandes chasses de la Renaissance, la sorcière peut pourtant, affirme Mona Chollet, servir pour les femmes d'aujourd'hui de figure d'une puissance positive, affranchie de toutes les dominations.
Qu'elles vendent des grimoires sur Etsy, postent des photos de leur autel orné de cristaux sur Instagram ou se rassemblent pour jeter des sorts à Donald Trump, les sorcières sont partout. Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par cette figure. La sorcière est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l'Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ? Quels types de femme ces siècles de terreur ont-ils censurés, éliminés, réprimés ?
Ce livre en explore trois et examine ce qu'il en reste aujourd'hui, dans nos préjugés et nos représentations : la femme indépendante -; puisque les veuves et les célibataires furent particulièrement visées ; la femme sans enfant -; puisque l'époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée - devenue, et restée depuis, un objet d'horreur.
Enfin, il sera aussi question de la vision du monde que la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s'est développé alors tant à l'égard des femmes que de la nature : une double malédiction qui reste à lever.
Nombre de femmes et d'hommes qui cherchent l'épanouissement amoureux ensemble se retrouvent très démunis face au troisième protagoniste qui s'invite dans leur salon ou dans leur lit : le patriarcat. Sur une question qui hante les féministes depuis des décennies et qui revient aujourd'hui au premier plan de leurs préoccupations, celle de l'amour hétérosexuel, ce livre propose une série d'éclairages.
Au coeur de nos comédies romantiques, de nos représentations du couple idéal, est souvent encodée une forme d'infériorité féminine, suggérant que les femmes devraient choisir entre la pleine expression d'elles-mêmes et le bonheur amoureux. Le conditionnement social subi par chacun, qui persuade les hommes que tout leur est dû, tout en valorisant chez les femmes l'abnégation et le dévouement, et en minant leur confiance en elles, produit des déséquilibres de pouvoir qui peuvent culminer en violences physiques et psychologiques. Même l'attitude que chacun est poussé à adopter à l'égard de l'amour, les femmes apprenant à le (sur ?) valoriser et les hommes à lui refuser une place centrale dans leur vie, prépare des relations qui ne peuvent qu'être malheureuses. Sur le plan sexuel, enfin, les fantasmes masculins continuent de saturer l'espace du désir : comment les femmes peuvent-elles retrouver un regard et une voix ?
Elon Musk et Jeff Bezos aujourd'hui, Steve Jobs et Bill Gates hier, Thomas Edison et Andrew Carnegie un siècle plus tôt... De nombreuses célébrités entrepreneuriales peuplent nos imaginaires. Ces grands hommes seraient des créateurs partis de rien, des visionnaires capables d'imaginer des innovations révolutionnaires, des génies aux capacités hors du commun. Régulièrement, un même miracle semble se produire : un être d'exception pénètre un marché et le révolutionne. Il y provoque la création destructrice et bouleverse un ordre que l'on croyait immuable. Dans le grand roman de notre économie, les entrepreneurs sont ces héros qui sortent l'humanité de sa torpeur et lui permettent de faire des bonds en avant sur la route du progrès. Dans ce livre, Anthony Galluzzo s'attache à défaire cette mythologie, à comprendre ses caractéristiques et ses origines. Il montre en quoi cet imaginaire fantasmatique nous empêche de saisir la dimension fondamentalement systémique de l'économie et contribue à légitimer un ordre politique fondé sur le conservatisme méritocratique, où chaque individu est considéré comme pleinement comptable de ses réussites et de ses échecs.
Vers 1800, la plupart des Français étaient des paysans qui construisaient eux-mêmes leur maison, récoltaient leurs céréales, pétrissaient leur pain et tissaient leurs vêtements. Aujourd'hui, l'essentiel de ce que nous consommons est produit par un réseau de grandes et lointaines entreprises. En deux siècles à peine, la communauté paysanne autarcique s'est effacée pour laisser place à une myriade de consommateurs urbains et connectés.
Cet ouvrage retrace les grandes étapes de cette conversion à la consommation. Comment s'est constitué le pouvoir marchand ? Quels changements sociaux ont accompagné la circulation massive des marchandises ? En parcourant l'Europe et l'Amérique du Nord des XIXe et XXe siècles, ce livre retrace l'histoire de multiples dispositifs de marché : la marque insufflant à la marchandise sa valeur-signe, les mises en scène inventées par les grands magasins, l'ingénierie symbolique déployée par les relations publiques et la publicité... Il raconte la conversion des populations à la consommation et la fulgurante prise de pouvoir des marchands.
La théorie décoloniale constitue l'un des discours phares de notre temps. Loin des imprécisions dont elle fait souvent l'objet, cet ouvrage, première synthèse en français sur son origine latino-américaine, offre une généalogie et une cartographie d'un continent de pensée méconnu en Europe. Mêlant récits historiques, portraits de théoriciens (dont Gloria Anzaldúa, Arturo Escobar ou Aníbal Quijano), extraits d'oeuvres non encore traduites, explications de concepts clés, ce livre offre une introduction claire, informée et stimulante des apports d'un des courants les plus féconds de la théorie critique contemporaine.
La conquête de l'Amérique, scène inaugurale de la modernité capitaliste, fut aussi l'acte de naissance de nouveaux rapports coloniaux de domination qui ont modelé une hiérarchie planétaire des peuples selon des critères raciaux, sexuels, épistémiques, spirituels, linguistiques et esthétiques. Or cette colonialité du pouvoir n'a pas été enterrée par les décolonisations. Si l'on veut en sortir, il faut (re)connaître les expériences vécues par celles et ceux qui ont résisté à l'imposition de ces régimes, les savoirs produits par les sujets marqués par la blessure coloniale, et tenter de discerner, dans ces fragiles " nouveaux mondes ", l'horizon d'un dépassement de la colonialité.
Pourquoi parler encore des mecs ? Quand tout se passe comme si les humains étaient hommes par défaut et femmes par exception, il semble qu'on n'en parle déjà que trop.
À y regarder de plus près, cependant, on parle beaucoup
d'hommes mais plus rarement
des hommes. On parle d'individus en particulier, bien peu de la classe des hommes dans son ensemble.
On parle des Grands Hommes, moins de tous ceux qui envoient des photos de leur pénis sur Internet. On parle plus des ministres que des violeurs (sauf quand il s'agit du même type).
Alors, si nous retournons le regard féministe vers les hommes, que voyons-nous ? Soudain, on comprend comment les hommes sont construits et les histoires qu'on se raconte sur la " nature masculine " se révèlent mensongères. On voit que l'amour des hommes pour les femmes n'est pas un cadeau. On voit qu'en un sens les hommes préfèrent de toute façon les hommes, ce qui ne les empêche pas d'être homophobes.
Je suis une femme blanche, trans et lesbienne et mon point de vue n'est pas moins neutre qu'un autre. Je vais recourir à des statistiques, des théories, des histoires, des dessins et des punchlines pour vous faire poser un nouveau regard sur vos pères, vos frères, vos compagnons, vos ex - et peut-être sur vous-même.
Une histoire de la France " d'en bas ", celles des classes populaires et des opprimés de tous ordres, pour un livre monumental : une histoire des résistances, des révoltes et des rébellions face à l'ordre établi et aux pouvoirs dominants, une histoire qui restitue le champ des possibles non aboutis dans leur contexte politique, économique et social, mais qui passe aussi par l'histoire du quotidien, de l'intime et du sensible, attentive aux émotions, aux bruits et aux sons.
1685, année terrible, est à la fois marquée par l'adoption du Code Noir, qui établit les fondements juridiques de l'esclavage " à la française ", et par la révocation de l'édit de Nantes, qui donne le signal d'une répression féroce contre les protestants. Prendre cette date pour point de départ d'une histoire de la France moderne et contemporaine, c'est vouloir décentrer le regard, choisir de s'intéresser aux vies de femmes et d'hommes " sans nom ", aux minorités et aux subalternes, et pas seulement aux puissants et aux vainqueurs.
C'est cette histoire de la France " d'en bas ", celle des classes populaires et des opprimé.e.s de tous ordres, que retrace ce livre, l'histoire des multiples vécus d'hommes et de femmes, celle de leurs accommodements au quotidien et, parfois, ouvertes ou cachées, de leurs résistances à l'ordre établi et aux pouvoirs dominants, l'histoire de leurs luttes et de leurs rêves.
Pas plus que l'histoire de France ne remonte à " nos ancêtres les Gaulois ", elle ne saurait se réduire à l'" Hexagone ". Les colonisés - des Antilles, de la Guyane et de La Réunion en passant par l'Afrique, la Nouvelle-Calédonie ou l'Indochine - prennent ici toute leur place dans le récit, de même que les migrant.e.s qui, accueilli.e.s " à bras fermés ", ont façonné ce pays.
Notre monde est logistique. La pléthore d'acteurs qui consacrent leur énergie à acheminer les biens consommés de par le globe en témoigne : la circulation des marchandises est devenue un moteur essentiel du capitalisme mondialisé. Les pays les plus riches se constellent d'entrepôts qui prennent la place des usines abandonnées ; les pays les plus pauvres, eux, assurent la fabrication et le traitement des biens qui sillonnent la planète pour être achetés, consommés, mis au rebut.
Si c'est le monde industriel et marchand qui a donné à la rationalité logistique sa forme la plus aboutie, celle-ci s'étend aujourd'hui à l'ensemble de nos activités. Des politiques migratoires aux pratiques culturelles, de la conservation de l'environnement aux relations humaines, il n'existe plus guère de domaines de la vie qui ne soient soumis à la gestion des flux, ce principe fondamental d'intendance.
Il est grand temps de se demander comment le royaume logistique régit nos existences ; de montrer combien les conséquences de ses manquements sont dramatiques pour le vivant ; de raconter les multiples luttes qui lui font face. Et surtout, comme s'y emploie ce livre, il est urgent d'inventer d'autres imaginaires de la circulation et du transport, d'autres sujets collectifs pour un monde dans lequel les circulations ne seraient pas un instrument mortifère au service de la valeur marchande.
Le célèbre couple de sociologues de la bourgeoisie livre son autobiographie, des mémoires qui retracent près de six décennies d'une vie studieuse, amoureuse et engagée. L'un issu d'une famille ouvrière des Ardennes, l'autre fille d'un notable de Lozère, ils se rencontrent en 1965 à la bibliothèque de la faculté de Lille. Ils ne se quitteront plus. Études de sociologie, mariage précipité, séjour en coopération dans le Sahara marocain, rencontre avec Pierre Bourdieu, entrée au CNRS et puis, à la fin des années 1980, décision de prendre les nantis comme objet d'investigation, avec un premier livre écrit à quatre mains,
Dans les beaux quartiers.
On les suit dans leur découverte de cet autre monde social, du Jockey Club aux chasses à courre, en passant par l'Automobile Club de France et ses réceptions au champagne. On accède ainsi aux coulisses d'une recherche qui suppose souvent de déployer des trésors d'ingéniosité pour accéder aux enceintes feutrées de l'entre-soi où se côtoient les grandes familles.
Ce récit agrémenté de nombreuses anecdotes peut se lire tout autant comme une introduction à leurs travaux que comme la traversée d'une époque par un duo singulier, témoin bicéphale des mutations de la société française et de ses élites sur un demi-siècle.
Le capitalisme engendrant des besoins artificiels toujours nouveaux, mettre un terme à la voracité consumériste implique de définir et de s'appuyer sur des besoins " authentiques " et reconnus de tous. Le nouveau livre de Razmig Keucheyan suit cette ligne critique en recherche d'une véritable politique de l'émancipation.
Le capitalisme engendre des besoins artificiels toujours nouveaux. Celui de s'acheter le dernier iPhone, par exemple, ou de se rendre en avion dans la ville d'à côté. Ces besoins sont non seulement aliénants pour la personne, mais ils sont écologiquement néfastes. Leur prolifération sous-tend le consumérisme, qui lui-même aggrave l'épuisement des ressources naturelles et les pollutions.
À l'âge d'Amazon, le consumérisme atteint son " stade suprême ". Ce livre soulève une question simple : comment couper court à cette prolifération de besoins artificiels ? Comment sortir par là même du consumérisme capitaliste ? La réflexion s'appuie sur des chapitres thématiques, consacrés à la pollution lumineuse, à la psychiatrie de la consommation compulsive ou à la garantie des marchandises, pour élaborer une théorie critique du consumérisme. Elle fait des besoins " authentiques " collectivement définis, en rupture avec les besoins artificiels, le coeur d'une politique de l'émancipation au XXIe siècle.
Chemin faisant, le livre évoque la théorie des besoins de Karl Marx, André Gorz et Agnes Heller. Pour ces auteurs, les besoins " authentiques " ont un potentiel révolutionnaire. Comme disait Marx, " une révolution radicale ne peut être que la révolution des besoins radicaux ".
Le 23 novembre 1932, quelques semaines avant l'accession de Hitler au pouvoir, le philosophe Carl Schmitt prononce un discours devant le patronat allemand. Sur fond de crise économique, son titre annonce le programme : " État fort et économie saine ".
Mobilisant des " moyens de puissance inouïs ", le nouvel État fort, promet-il, ne tolérera plus l'" émergence en son sein de forces subversives ". Ce pouvoir autoritaire musèlera les revendications sociales et verticalisera la présidence en arguant d'un " état d'urgence économique ".
Lorsqu'il lit ce texte de Schmitt, son adversaire de toujours, le juriste antifasciste Hermann Heller, ne saisit que trop bien de quoi il s'agit. Peu avant de prendre le chemin de l'exil (il mourra en Espagne l'année suivante), il laisse un court article qui compte parmi les plus clairvoyants de la période. Nous assistons là, analyse-t-il, à l'invention d'une nouvelle catégorie, un " libéralisme autoritaire ".
Ce recueil rassemble ces deux textes majeurs de la pensée politique, encore inédits en français, assortis d'une présentation qui éclaire les rapports méconnus entre Schmitt et les pères fondateurs du néolibéralisme.
Ce petit guide pratique vise à donner aux femmes, avec humour et pédagogie,et indépendamment de leur âge ou de leur condition physique, les moyens de se sentir plus fortes, plus sûres d'elles-mêmes et plus aptes se protéger.
En tant que femmes nous sommes tous les jours les cibles d'interpellations, de harcèlement, d'agressions verbales, physiques ou sexuelles plus ou moins graves, plus ou moins violentes, à degrés divers, au travail, dans l'espace public et privé. Souvent nous ne savons comment réagir, comment dire non, et comment faire comprendre que, lorsque nous disons non, c'est non. L'autodéfense pour femmes - qui n'a rien à voir avec du kung-fu -, ce sont tous les petits et grands moyens de se sentir fortes, plus sûres de soi et plus aptes à se protéger et à se défendre dans touts les situations de la vie quotidienne, que ce soit au niveau mental, émotionnel, verbal ou, en dernier recours, physique. Comment reconnaître et prévenir une situation d'agression ? Comment réagir efficacement, savoir se protéger et éviter la violence ? Ce guide pratique propose une séire d'astuces simples et faciles pour poser efficacement ses limites et se sortir de situations difficiles : identifier le type d'agression et la psychologie de l'agresseur, utiliser et gérer ses émotions, prévenir la violence par la défense verbale et la désescalade du conflit, mobiliser des tactiques de diversion et de fuite, faire jouer la solidarité, savoir où frapper pour faire mal... Contre tous les stéréotypes qui interdisent habituellement aux femmes de prendre leur sécurité en main, il faut apprendre à dire non et oser se défendre.
Au début des années 2020, le consensus de la Silicon Valley se délite. Inégalités folles, stagnation de la productivité, instabilité endémique... la nouvelle économie n'est pas advenue. Les algorithmes sont omniprésents, mais ce n'est pas pour autant que le capitalisme s'est civilisé. Au contraire.
La thèse de ce livre est qu'avec la digitalisation du monde se produit une grande régression. Retour des monopoles, dépendance des sujets aux plateformes, brouillage de la distinction entre l'économique et le politique : les mutations à l'oeuvre transforment la qualité des processus sociaux et donnent une actualité nouvelle au féodalisme. L'ouvrage commence par proposer une généalogie du consensus de la Silicon Valley et met en évidence les cinq paradoxes qui le minent.
La thèse centrale est ensuite déroulée, rythmée par des développements sur les GAFA, les chaînes globales de valeur ou encore le système de crédit social chinois. Les grandes firmes se disputent le cyberspace pour prendre le contrôle sur des sources de données. Les sujets sont attachés à la glèbe numérique. Dans l'ordre économique qui émerge, les capitaux délaissent la production pour se concentrer sur la prédation.
Sur un mode subjectif et partisan, dans la veine d'un Lester Bangs, le récit de l'aventure punk rock née il y a près de 25 ans du cri de colère et de ralliement lancé par une poignée de jeunes féministes nord-américaine underground : " Revolution, Grrrl Style, Now ! " Le mouvement des riot grrrls -les " émeutières " - était né. Des groupes de femmes, dont le légendaire Bikini Kill, partaient à l'assaut, bien décidées à rendre " le punk plus féministe, et le féminisme plus punk ". Au début des années 1990, de jeunes féministes nord-américaines lançaient du fond de leurs tripes un cri de colère et de ralliement dans le milieu punk underground : " Revolution, Grrrl Style, Now ! " La culture riot grrrl - littéralement, les " émeutières " - était en train de naître. Des groupes comme Bikini Kill ou Bratmobile partaient à l'assaut de la production musicale, décidés à rendre " le punk plus féministe et le féminisme plus punk ".
Leur offensive fut une secousse incroyablement positive pour toute une génération assommée par la culture mainstream. Car les riot grrrls ont été bien davantage qu'un simple courant musical : appliquant les principes du Do-It-Yourself, elles ont construit une véritable culture alternative, dont la force de frappe tient en une " proposition " que suivront des milliers de jeunes femmes : celle d'oser devenir qui elles sont et de résister corps et âme à la mort psychique dans une société capitaliste et patriarcale.
Manon Labry retrace l'histoire de cette révolution politique et culturelle. Elle déploie une écriture punk bien frappée qui entremêle paroles de chansons, témoignages, réflexions personnelles, extraits de fanzines et illustrations pour faire la chronique d'une génération.
Des années durant, l'écrivain Yves Pagès a glané toutes sortes de statistiques, notant dans un carnet des centaines de pourcentages. De ce vertigineux inventaire, il a fait un livre étrange qui, entre jeu littéraire à la Raymond Queneau et réflexions philosophiques à la Theodor Adorno, reconstitue par fragments le tableau d'une société infestée par une vision comptable du monde. Difficile de rompre la glace du monstre statistique, d'échapper à ses ordres de grandeur qui prétendent tout recenser de nos faits et gestes, quantifier nos opinions, mettre en coupe réglée nos vies matérielles. Sous emprise comptable, chacun se sent casé d'office, sondé de bas en haut, pris au piège. Mais alors, comment nous soustraire au grand dénombrement ? Sans prétention d'exhaustivité, l'auteur se propose de passer ces données brutes au tamis de rêveries interprétatives, pour traquer leurs failles implicites ou les confronter à d'autres cas de figure.
À la logique de la quantification de toutes choses, il oppose, par collage, accumulation et divagation, une poétique de l'absurde.
Par-delà cet art du détournement stylistique, il nous livre en pointillé une analyse caustique de la condition des vivants à l'ère de la gouvernance par les nombres, agrémentée de quelques suggestions paradoxales pour passer entre les mailles du filet statistique.
Libérée, la sexualité des femmes d'aujourd'hui ? On serait tenté de croire que oui. Pourtant, plus de 50 % d'entre elles se disent insatisfaites, que ce soit à cause d'un manque de désir ou de difficultés à atteindre l'orgasme. Si tant de femmes ordinaires sont concernées, peut-être qu'elles n'ont rien d'anormal et que ce n'est pas à la pharmacie qu'il faut aller chercher la solution. Le remède dont elles ont besoin est plus certainement culturel, et passe par une réorientation de notre approche androcentrée du sexe et du plaisir.
Tour à tour reportage, essai et recueil de réflexions à la première personne, cet ouvrage enquête sur les dernières découvertes scientifiques ayant trait à l'orgasme féminin. On y apprend ainsi qu'une chercheuse en psychologie clinique a recours à la méditation de pleine conscience pour traiter les troubles à caractère sexuel. On y découvre aussi diverses façons dont les femmes choisissent de redéfinir leur sexualité. Cette aventure aux confins de la jouissance nous emmène jusqu'au festival Burning Man, où l'orgasme féminin est donné à voir sur scène, ou encore dans le cabinet feutré d'une thérapeute qui propose de soigner les traumatismes liés au viol à l'aide de massages sensuels.
Comment, dans un paysage politique en ruines, reconstituer la vérité des faits ? La réponse d'Eyal Weizman tient en une formule-programme: " l'architecture forensique ". Approche novatrice au carrefour de plusieurs disciplines, cette sorte d'architecture se soucie moins de construire des bâtiments que d'analyser des traces que porte le bâti afin de rétablir des vérités menacées. Impacts de balles, trous de missiles, ombres projetées sur les murs de corps annihilés par le souffle d'une explosion : l'architecture forensique consiste à faire parler ces indices.
Si elle mobilise à cette fin des techniques en partie héritées de la médecine légale et de la police scientifique, c'est en les retournant contre la violence d'État, ses dénis et ses "
fake news ". Il s'agit donc d'une " contre-forensique " qui tente de se réapproprier les moyens de la preuve dans un contexte d'inégalité structurelle d'accès aux moyens de la manifestation de la vérité.
Au fil des pages, cet ouvrage illustré offre un panorama saisissant des champs d'application de cette démarche, depuis le cas des frappes de drone au Pakistan, en Afghanistan et à Gaza, jusqu'à celui de la prison secrète de Saidnaya en Syrie, en passant par le camp de Staro Sajmište, dans la région de Belgrade.
De renommée équivalente à celle de Milgram, l'" expérience de Stanford sur la prison " demeure pourtant l'un des meilleurs exemples de mise en scène scientifique. Rassemblant archives et entretiens inédits, Thibault Le Texier mène une enquête haletante sur l'une des plus grandes supercheries intellectuelles du XX e siècle.
Conduite en 1971 par le professeur Philip Zimbardo, l'" expérience de Stanford sur la prison " a vu vingt-deux étudiants volontaires jouer les rôles de gardiens et de prisonniers au sein d'une fausse prison installée dans l'université Stanford.
L'expérience devait durer deux semaines mais elle fut arrêtée au bout de six jours, résume Zimbardo, car " les gardiens se montrèrent brutaux et souvent sadiques et les prisonniers, après une tentative de rébellion, dociles et accommodants, même si la moitié d'entre eux furent si perturbés psychologiquement qu'ils durent être libérés plus tôt que prévu ".
Devenue presque aussi célèbre que l'expérience de Stanley Milgram sur l'obéissance et souvent citée en exemple de l'influence des situations sur nos comportements, l'expérience de Stanford est pourtant plus proche du cinéma que de la science : ses conclusions ont été écrites à l'avance, son protocole n'avait rien de scientifique, son déroulement a été constamment manipulé et ses résultats ont été interprétés de manière biaisée.
Rassemblant archives et entretiens inédits, Thibault Le Texier mène une enquête haletante sur l'une des plus grandes supercheries scientifiques du XXe siècle, entre rivalités académiques, contre-culture et déploiement du complexe militaro-industrialo-universitaire.
À travers le cas proprement fascinant d'Henry Howard Holmes, architecte d'une maison à tuer grâce à laquelle il commettra plusieurs dizaines de meurtres, Alexandra Midal nous invite à réfléchir sur l'émergence quasi simultanée de la révolution industrielle et de la figure du serial killer.
En 1896, à l'âge de 35 ans, Henry Howard Holmes, de son vrai nom Herman Webster Mudget, le premier tueur en série des États-Unis, avoue des dizaines de crimes. Pour mener tranquillement ses activités, il a édifié à Chicago, à quelques encablures des abattoirs les plus sophistiqués du monde, une bâtisse si vaste que ses voisins l'ont appelée le Château. Létal, pratique et confortable, l'immeuble est doté des innovations les plus récentes. Chef-d'oeuvre rationnel et mécanique cosy du crime en pantoufles, le projet de Holmes, designer de l'extrême, s'inscrit à merveille dans le projet fonctionnaliste des modernes.
Cette enquête interroge l'émergence quasi simultanée de la révolution industrielle et de la figure du serial killer. Loin d'être une coïncidence, elle annonce la rationalité de nouveaux modes de production dont la chaîne de montage et le meurtre sériel sont deux émanations. Le cas Holmes, anti-héros de l'histoire moderne, permet de mieux saisir le tournant que cette révolution économique, mécanique et culturelle a opéré dans le traitement du vivant.
On trouvera, en annexe de cet essai, la première traduction française des
Confessions du tueur, publiées juste avant son exécution, en avril 1896.
Quatre garçons d'une vingtaine d'années, qui ont grandi entre les tours d'une cité de la grande banlieue parisienne ont participé pendant un an, avec leur éducateur Joseph Ponthus, à un atelier d'écriture. Plusieurs voix et différents types de textes s'entrecroisent - journal écrit au mitard, lettres au juge, récits de souvenirs d'enfance... Où l'on apprend que l'écriture, elle aussi, est un combat.
Quand quatre jeunes de banlieue se prennent d'écrire leur quotidien avec un de leurs éducateurs , ça envoie du lourd. Entre provocations policières, soirées à tchatcher dans les halls d'immeuble, jugements et appels, embrouilles à la con, boulots foireux, visites en prison, heures d'ennui et éclats de rire, c'est le quotidien d'un quartier populaire comme tant d'autres qui est raconté. Le quotidien d'une France qui peut exploser à tout moment, qui ne veut pas être un exemple ni un modèle, qui témoigne de la vie, mais aussi de la mort. Un quotidien où l'on enrage plus souvent qu'à son tour, mais où l'on trouve encore la force d'en rire. Un quotidien où des professionnels se démènent pour sauver ce qui peut l'être encore. Où l'on se demande même, par moments, si l'on n'aurait pas plus intérêt à ce que tout pète. Un quotidien que les médias ignorent, que les jeunes taisent parce que trop criant d'être aussi banal que brutal. Un quotidien où la solidarité est à l'oeuvre, où les choses se vivent et s'éprouvent plus qu'elles ne se disent - sauf quand on se décide à prendre son stylo et à écrire, entre rires et larmes, la cité. Car c'est sans doute des mots que viendront les solutions. La découverte de l'écriture et du pouvoir de ces foutus mots. Face à des flics. Face à des juges. Face à soi-même.
Le parti pris de ce livre collectif, qui rassemble les contributions de sociologues, de journalistes, mais aussi d'artistes et de militants syndicaux ou associatifs, procède du judo : prolonger le mouvement de l'adversaire afin de détourner sa force et la lui renvoyer en pleine face. Faire de la statistique, instrument du gouvernement des grands nombres, une arme critique. Essayer du moins, explorer cette possibilité. Militer avec des chiffres, ce serait faire du statactivisme. Les statistiques nous gouvernent. Argument d'autorité au service des managers, elles mettent en nombres le réel et maquillent des choix qui sont, en fait, politiques. Le parti pris de ce livre, qui rassemble les contributions de sociologues, d'artistes et de militants, procède du judo : prolonger le mouvement de l'adversaire afin de détourner sa force et la lui renvoyer en pleine face, faire de la statistique une arme critique. L'histoire de cette forme de contestation dont Luc Boltanski indique qu'elle permet de formuler des " critiques réformistes " passe d'abord par un retour sur la longue controverse sur l'indice des prix en France, présentée par Alain Desrosières.
La deuxième partie du livre s'intéresse à la façon dont on ruse, individuellement et souvent secrètement, avec les règles. L'association Pénombre, composée de statisticiens critiques, y présente une fausse interview du brigadier Yvon Dérouillé, qui explique, face caméra, comment tripatouiller les statistiques de la délinquance. Mais les statistiques peuvent aussi servir à faire exister politiquement, en les rendant visibles, des catégories sociales discriminées. Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires, montre comment Victor Schoelcher, au XIXe siècle, mobilisait déjà des arguments quantitatifs pour la défense des droits des Noirs.
Une dernière stratégie statactiviste consiste à bâtir des indicateurs alternatifs, tels que le " BIP 40 ", qui met en rapport les bénéfices dégagés par l'envolée des cours boursiers et le creusement des inégalités sociales. Ces quatre démarches sont illustrées, avec humour ou sérieux, en texte ou en image, par les contributeurs de cet ouvrage, pour qui " un autre nombre est possible " : ce qu'une logique hégémonique de quantification a instauré, une pratique statactiviste avertie peut chercher à le défaire.
Un essai engagé et polémique, un démontage sans concession de l'imaginaire politique de la droite " bling bling ". Un style incisif, souvent drôle, qui mêle l'enquête journalistique, l'écriture littéraire et la critique sociale.
" J'ai fait un rêve ", slogan repris à Martin Luther King, fut l'un des moteurs de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Tout a été dit sur cette victoire sauf peut-être l'essentiel : et si elle correspondait au triomphe d'une nouvelle forme d'imaginaire politique ?Mona Chollet décortique les principaux éléments de l'univers sarkozyste : la " machine de guerre fictionnelle " que représente la success story, le mythe du self-made man, l'identification illusoire aux riches et aux puissants, le mépris des " perdants ", l'individualisme borné, le triomphe de l'anecdote et du people...Aux antipodes de la fascination béate et complaisante d'une Yasmina Reza, elle critique les impostures idéologiques du nouveau pouvoir : un démontage sans concession des valeurs de la droite bling bling, dans un style incisif, souvent drôle, toujours fin, mêlant l'enquête journalistique, l'écriture littéraire et la critique sociale.Lucide, elle pointe également la faiblesse alarmante de l'imaginaire de gauche, radicalement incapable de relever le défi. Contre le cynisme et les renoncements, il est urgent de réinventer un nouvel imaginaire émancipateur, en commençant par se réapproprier l'aspiration légitime à l'épanouissement personnel, aujourd'hui fourvoyée dans les mirages de la " société-casino ".
Publié en Angleterre en 1787, l'ouvrage de ce Rousseau noir est considéré outre-Atlantique comme un classique des " récits d'esclaves ". Méconnue en France, cette pièce essentielle de l'histoire de la conscience noire est enfin rendue disponible, rééditée ici pour la première fois depuis deux siècles.
À la fois récit et essai philosophique, ces Réflexions furent le premier texte abolitionniste à être écrit au XVIIIe siècle de la main d'un ancien esclave africain. Publié en Angleterre en 1787, l'ouvrage de ce Rousseau noir est considéré outre-Atlantique comme un classique des " récits d'esclaves ". Méconnue en France, cette pièce essentielle de l'histoire de la conscience noire est enfin rendue disponible, rééditée ici pour la première fois depuis plus de deux cents ans dans une belle traduction originale du XVIIIe siècle. Cugoano raconte comment, jeune garçon, il fut enlevé sur les côtes de l'Afrique et déporté dans la colonie britannique de la Grenade. Il témoigne directement de la violence des razzias, des conditions terribles de la traversée, des traitements inhumains à bord des bateaux négriers et de l'enfer de l'exploitation sur les plantations. Au-delà du récit, Cugoano rédige un véritable acte d'accusation contre les nations esclavagistes : faute de s'insurger contre la traite et l'esclavage, tous les Européens sont complices de l'oppression des Africains déportés. Il signe ainsi au nom de l'Afrique exploitée un réquisitoire sans appel contre les cruautés de l'Europe coloniale, dont les accents de colère résonnent encore aujourd'hui d'un écho particulier. Autodidacte et lecteur scrupuleux de la Bible, Cugoano se propose en outre de réfuter les justifications de l'esclavage. En philosophe et exégète du texte sacré, l'ancien esclave démonte systématiquement chacun des arguments allégués pour justifier la domination de ses frères. Au-delà de l'indignation morale et de la condamnation politique, il entend triompher de l'oppression par la critique intellectuelle : retournant la langue du maître contre elle-même, réfutant la pratique des Européens par les principes mêmes dont ils se réclament.
Citant largement les textes (dont l'intégralité du Code de l'Indigénat de 1875) et les commentaires dont ils firent l'objet, Olivier Le Cour Grandmaison met en évidence leur rôle dans un racisme d'État longtemps théorisé et pratiqué par la République
Internement administratif pour une durée indéterminée, responsabilité collective appliquée à des tribus et des villages entiers, séquestre des propriétés " indigènes " et transfert de celles-ci aux colons, Code de l'indigénat enfin, adopté en 1875 puis régulièrement reconduit par les députés de la IIIe République : telles sont les principales dispositions répressives appliquées dans l'Algérie coloniale, jusqu'en 1945. Citant largement les textes ? dont le fameux " code de l'Indigénat " est enfin publié dans son intégralité ? et les commentaires dont ils firent l'objet, Olivier Le Cour Grandmaison les analyse de façon précise, et met ainsi en évidence l'existence d'un racisme d'État longtemps théorisé et pratiqué par la République. Qualifiées de " monstres " juridiques par plusieurs juristes de l'époque, ces différentes mesures furent exportées dans les autres territoires de l'Empire au fur et à mesure de l'extraordinaire expansion coloniale de la France entre 1871 et 1913. L'exception politique et juridique est ainsi devenue la règle pour les " indigènes ". À cela s'ajoutent le travail forcé et l'esclavage domestique, lequel a continué de prospérer au vu et au su des autorités françaises. Hier essentielle à la pérennité de la République impériale, cette législation coloniale est aujourd'hui trop souvent ignorée. Exhumer ses principes, étudier ses mécanismes et leurs conséquences pour les autochtones privés des droits et libertés démocratiques élémentaires, tels sont les objets de ce livre. Sommes-nous complètement affranchis de ce passé ? Hélas non. L'internement des étrangers sans-papiers et le " délit de solidarité " le prouvent. L'un et l'autre ont des origines coloniales.