Depuis une dizaine d'années, les achats d'ouvrages de seconde main progressent de manière significative en France. Cette évolution résulte des changements d'habitudes des lecteurs-consommateurs, de plus en plus sensibles à l'économie circulaire, mais surtout de l'essor des plateformes numériques qui facilitent l'achat et la revente des livres d'occasion. L'ouvrage de Vincent Chabault, fruit d'une enquête de longue durée, explore ce marché et les multiples dynamiques qui le traversent aujourd'hui. Des bouquinistes aux plateformes, des puces de Saint-Ouen aux librairies de Paris et de Lyon en passant par les acteurs de l'économie sociale et solidaire et les transactions sur Leboncoin, il montre à quel point le processus de plateformisation bouscule les règles de l'échange et le savoir-faire des professionnels, de la constitution de l'assortiment aux opérations de formation des prix de revente. Au-delà du seul cas du livre, cet ouvrage permet en outre d'appréhender de nouveaux rapports de force apparus sur les places de marché virtuelles et, plus largement, un mouvement de fond qui déstabilise l'ensemble des marchés de consommation et leur appareil commercial traditionnel.
À l'ouest de la Guyane, au bord du fleuve Maroni, frontière entre la France et le Suriname, la ville de Saint-Laurent-du-Maroni se transforme depuis une trentaine d'années au gré des démolitions de maisons et des constructions de nouveaux quartiers. La population bushinenguée, descendante d'Africain.e.s ayant fui les plantations surinamaises, est particulièrement touchée par ces mesures, contrainte d'adapter ses traditions et son mode d'habiter, transfrontalier et multiple, aux politiques urbaines conçues dans l'hexagone. Clémence Léobal a suivi dans leur quotidien et leurs démarches trois femmes bushinenguées, menacées de délogement ou en recherche d'un logement social, afin de comprendre la manière dont les lois françaises modifient les façons d'habiter de ces personnes et, à une plus large échelle, la configuration de cette ville. Confrontant l'expérience des habitantes et des habitants aux discours du personnel des administrations, l'autrice rend compte des luttes et des rapports de pouvoir à l'oeuvre, proposant une étude intersectionnelle des inégalités héritées du colonialisme. Cette enquête de terrain est enrichie de cartes et de schémas, ainsi que d'une sélection de photographies de Nicola Lo Calzo, artiste qui s'intéresse aux stigmates de la traite négrière dans les sociétés contemporaines.
Fin 2018, la France connaît un soulèvement populaire sans précédent, motivé dans un premier temps par le refus de l'augmentation du prix des carburants automobiles. Pour se reconnaître, les individus concernés endossent un gilet de haute visibilité, le fameux « gilet jaune ». Rapidement, la mobilisation s'étend à la Belgique, principalement à Bruxelles et à la Wallonie. Ce mouvement, ou plutôt ces mouvements, en renouvelant les modalités de la mobilisation, rebattent les cartes de l'analyse. Leur caractère spontané, apartisan sans être apolitique, interroge les rapports qui se nouent entre Gilets jaunes et syndicats d'une part, entre Gilets jaunes et institutions d'autre part. Force est ainsi de constater qu'à des aspirations démocratiques de plus en plus affirmées répondent une répression policière et des sanctions judiciaires inégalées. La confrontation entre terrain belge et terrain français, les enquêtes et les observations sociologiques, les entretiens individuels ou collectifs, les portraits d'individus mobilisés et les photographies de terrain sont autant d'outils utilisés dans cet ouvrage pour tenter de redonner une parole longtemps confisquée aux principaux acteurs de cette mobilisation : les Gilets jaunes eux-mêmes.
Omniprésent dans les médias, mais aussi dans le champ politique et dans le langage ordinaire, le terme « bobo » n'est pas neutre. Son usage et ses variantes (« boboïsation », « boboïsé ») tendent à simplifier, et donc aussi à masquer, l'hétérogénéité des populations et la complexité des processus affectant les espaces urbains qu'ils prétendent décrire. En réduisant les « bobos » à des caricatures, on juge des caractères, des intentions et des volontés, en oubliant que les représentations et les pratiques des individus et des groupes sociaux prennent place dans des trajectoires singulières et un monde hiérarchisé. Ainsi, scientifiquement parlant, les bobos n'existent pas, et des expressions telles que « boboïsation » ou « boboïsé » ne conviennent pas pour saisir et caractériser la diversité des logiques et des mécanismes, voire, parfois, les contradictions à l'oeuvre dans les phénomènes de « gentrification ». C'est ce que montre cet ouvrage, qui propose un regard historique et sociologique sur le mot « bobo » et ses usages dans les univers médiatiques, politiques et culturels, comme dans les discours des populations impliquées.
La présence d'enfants non accompagnés dans nos rues est devenue suffisamment rare pour susciter la curiosité, l'interrogation, voire la réprobation. En effet, dans les sociétés occidentales contemporaines, l'enfant a progressivement désinvesti l'espace urbain extérieur pour devenir un « enfant d'intérieur ». Si de nombreux facteurs interviennent dans ce processus, le rôle des parents est primordial : les ressources culturelles et matérielles dont ils disposent, les souvenirs qu'ils gardent de leur propre enfance, les pratiques éducatives qu'ils mettent en oeuvre, les normes de comportement et de présentation de soi qu'ils transmettent concourent à façonner la perception d'un espace extérieur plus ou moins accueillant, plus ou moins sûr chez leurs enfants. Comparant deux quartiers de Paris et de Milan, Clément Rivière s'appuie sur de nombreux entretiens et des observations de terrain pour identifier les dynamiques qui encadrent la socialisation des enfants aux espaces publics. Il s'intéresse également à la différenciation de cette socialisation selon les sexes, selon les milieux sociaux et selon les contextes nationaux et locaux, ainsi qu'aux inégalités qui en découlent.
Que signifie « échouer » ou « réussir » à l'école primaire ? Comment comprendre les difficultés éprouvées par des élèves d'origine populaire en lecture-écriture, grammaire, conjugaison, orthographe, vocabulaire, expression orale et expression écrite ? Comment se construisent, jour après jour, les processus de production des inégalités scolaires dans les salles de classe ? Ce livre tente de répondre à ces questions, en procédant à l'étude détaillée des pratiques et des productions scolaires d'élèves du CP au CM2 en français. Soulignant le rôle central du rapport au langage dans la production des différences scolaires, l'auteur fonde son analyse sur une sociologie de l'éducation informée des travaux anthropologiques et historiques concernant la spécificité des cultures écrites. Il entend ainsi rendre raison de l'« échec scolaire » du double point de vue d'une anthropologie de la connaissance et d'une anthropologie du pouvoir. Cet ouvrage est issu de l'enquête menée par Bernard Lahire pour sa thèse de doctorat, soutenue en 1990. Trente ans plus tard, les réflexions et analyses qu'il propose n'ont rien perdu de leur actualité. Dans une préface écrite à l'occasion de cette réédition, il souligne le poids de sa propre trajectoire sociale - son statut de transfuge de classe issu d'un milieu populaire - sur le choix de son objet d'étude.
Yves Grafmeyer est une figure marquante de la sociologie urbaine française. Présentateur et traducteur à la fin des années 1970, avec Isaac Joseph, de plusieurs textes majeurs de l'école de Chicago, auteur au début des années 1990 d'un manuel de sociologie urbaine qui aujourd'hui encore constitue une référence, mais également chercheur ayant produit de très nombreux travaux et écrits de premier plan sur les processus de ségrégation, les logiques de peuplement, les manières d'habiter ou encore les sociabilités urbaines, il a joué un rôle important dans la promotion de cette discipline en France. Sociologue de la vie urbaine plus que de la ville, il est aussi plus largement un grand sociologue qui a activement contribué à la structuration et à l'animation de la recherche en sciences sociales, à Lyon et à l'échelle nationale, et qui a formé plusieurs générations d'étudiants. Ce livre qui lui est consacré présente, sous la forme d'entretiens, son itinéraire professionnel, la genèse, les objets, les enjeux et les résultats de ses travaux de recherche, ainsi que les notions sociologiques majeures qu'il a mobilisées. Il permet ensuite de découvrir ou de redécouvrir une sélection de textes particulièrement significatifs de sa production, et se termine par les témoignages de quelques-uns de ses collègues.
Souvent évoqués dans les médias, la vie des gays et les enjeux de la visibilité comme de la réalité au quotidien des couples de même sexe méritaient une étude scientifique sérieuse. C'est chose faite avec le travail de Courduriès qui ouvre une voie prometteuse. Si l'auteur n'enquête que sur les couples masculins et s'en tient à un échantillonnage limité (il s'agit d'un éventail des possibles, à travers la diversité des situations et des personnes), la méthode qu'il a su mettre en place pour atteindre l'intime, si délicat à dévoiler, le recours aux réseaux de chat sur Internet et l'usage du courriel qui renouvelle le rapport enquêteur/enquêté en usage en ethnographie, font de cette recherche un moment fort pour l'étude des conjugalités quelle que soit la composition sexuée des couples.
Inscrit dans le droit français depuis 1983, le principe de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes peine toutefois à être pleinement appliqué. Si, aujourd'hui, plus de 60 % des agents de la fonction publique sont des femmes, cette situation en apparence favorable cache des disparités importantes. Au sein de l'Éducation nationale, cet écart est encore plus flagrant et paradoxal : alors que le recrutement se féminise toujours plus, les femmes accèdent finalement peu aux postes à responsabilités. À travers l'étude sociologique de trois fonctions emblématiques du système éducatif français - la direction d'école primaire, l'inspection de l'enseignement primaire, la direction de collège et de lycée -, Gilles Combaz analyse la position des hommes et des femmes dans leur environnement de travail. Il s'attache en particulier aux étapes charnières de la carrière que sont le recrutement, l'avancement et la mobilité. L'utilisation de données statistiques globales permet de réaliser un état des lieux de la place accordée aux femmes dans le monde professionnel, tandis que le recours aux entretiens apporte les nuances nécessaires et ouvre de nombreuses pistes de réflexion.
Où décide-t-on d'habiter ? Comment s'opère le choix du logement, du quartier, du statut d'occupation ? À ces questions de base répondent ici des chercheurs de différentes disciplines (sociologie, géographie, économie, démographie...), travaillant dans des contextes nationaux divers. Les réponses apportées, tout en soulignant le poids fort des contraintes (économiques, sociales, contextuelles...), montrent l'existence d'options mouvantes, incertaines, justifiant une analyse approfondie.
Il y a 10 ans, le 23 janvier 2002, Pierre Bourdieu disparaissait. Intellectuel engagé, il portait une attention passionnée au monde, non seulement comme objet d'étude mais aussi comme champ d'intervention citoyenne. Fondateur d'une théorie sociologique, adossée à des enquêtes de terrain qui ont fait date (sur l'Algérie, sur l'école, sur la précarité, etc.) et fait de lui le sociologue le plus cité et discuté au monde, il fut aussi un acteur infatigable des luttes contre le néolibéralisme et contre les formes les plus brutales de la mondialisation. De ces combats, dans lesquels il investissait l'exigence critique du sociologue, il a tiré des livres décisifs comme La Misère du monde, des textes d'intervention incisifs (Sur la télévision, Contre-feux, etc.) et une collection d'ouvrages militants (Raisons d'agir) créée au lendemain du mouvement social de décembre 1995.
Si elle a longtemps été l'apanage des géographes et des historiens, la notion de frontière cristallise depuis plusieurs années un intérêt croissant au sein des sciences sociales, au point d'avoir désormais conquis le statut de concept sociologique. Qu'est-ce qui se joue à la frontière entre espaces sociaux, mondes professionnels et jeux institutionnels ? Comment les spécialistes d'un espace d'activité traversent-ils les frontières sociales pour intervenir dans un autre espace, à quelles conditions, à quel prix, avec quels bénéfices ? Comment s'articulent la matérialité des lignes de démarcation et leur réalité symbolique dans les perceptions et les représentations des intéressés ? Sur la base d'enquêtes empiriques menées sur une diversité de terrains, ce livre s'empare de la question classique des divisions des sociétés différenciées pour l'éclairer sous un jour nouveau. Les rapports entre logiques professionnelles, tout particulièrement au sein des mondes de l'art et de la culture, et les formes d'engagement civique ou politique sont au coeur de cette exploration.
Tintin voyage tout autour de la Terre. Il parcourt le monde, d'abord en reporter et en justicier, avant de se faire chasseur de trésors, sous les mers ou dans les montagnes. Ses voyages l'amènent à affronter la réalité sociale, à combattre des régimes politiques, et surtout à s'ouvrir peu à peu à la diversité des peuples : il devient ainsi le défenseur des opprimés, qu'ils soient Chinois, Incas, Noirs ou Tziganes. Plus tard, quand son enthousiasme conquérant déclinera, il voyagera encore pour s'efforcer de sauver un membre de la « famille », Tournesol, Tchang ou la Castafiore. Mais plus le voyage se fait contrainte ou piège, plus son sens s'approfondit. À travers les aventures de Tintin, Pierre Masson explore le contexte historique et idéologique des créations d'Hergé, ainsi que les diverses dimensions symboliques d'une certaine représentation du monde et d'une singulière quête de vérité.
Cet ouvrage collectif présente les résultats d'une enquête internationale menée auprès d'environ 7 000 élèves âgés de 11 à 19 ans, à qui il a été demandé de raconter l'histoire nationale. Des élèves français, suisses, catalans, allemands ont répondu à un questionnaire et raconté librement « leur » histoire nationale. Contre les idées reçues d'un manque de connaissances historiques et de l'absence de tout récit commun, l'enquête dévoile des formes de narration, des organisateurs du récit et des contenus partagés, une véritable trame commune. L'analyse de ces formes et contenus précise leurs points forts, mais aussi les absences ou les spécificités nationales, et montre comment les savoirs scolaires coexistent avec d'autres sources de connaissances. Sont étudiées en particulier les places respectives et les fonctions du politique, de la religion, de la guerre, dans ces récits qui témoignent d'un imaginaire national. Un effet « territorial » est enfin mis en valeur, à la fois moins important que prévu en France et significatif à l'échelle des pays. Sensibles au contexte, ces récits sont la manifestation juvénile d'une conscience historique en formation, qui s'exprime selon des formes inédites.
Changer de prénom, c'est chercher à « devenir soi-même » (ou redevenir soi-même). De nombreux travaux ont pointé les injonctions contemporaines à être authentique sans insister sur les outils aux mains des personnes cherchant à fabriquer leur authenticité. Pour le dire autrement : changer de prénom n'est pas seulement répondre à la question « qui suis-je ? » (à la question de l'identité ou de l'identification étatique), mais c'est aussi répondre à la question de l'authenticité : « qui suis-je en vérité ? ». Identité et authenticité sont ainsi en tension dans les dossiers judiciaires. À travers une étude de la jurisprudence (soixante ans d'arrêts de cours d'appel, plusieurs dizaines d'observations d'audiences dans les tribunaux) et plusieurs mois de travail dans les archives des greffes, Baptiste Coulmont analyse comment le droit, petit à petit, en est venu à considérer le prénom non plus seulement sous l'angle de ses fonctions d'élément de l'état civil, à savoir sa capacité à identifier précisément un individu, mais aussi sous l'angle de ses fonctions connotatives : la capacité du prénom à indiquer l'appartenance à un groupe. S'est ainsi construit un « droit à devenir soi-même », reconnu à présent par des juristes et des magistrats. On peut dès lors déployer une sociologie empirique de la fabrique de l'authenticité, en étudiant, à travers les archives judiciaires, les contextes où elle se manifeste concrètement. Autant d'histoires singulières qui racontent tour à tour le rapport de l'individu à son corps ou à son genre, ou encore à son sentiment d'appartenance nationale.
Est-il excessif de présenter Tony Garnier comme un précurseur génial de l'architecture et de l'urbanisme contemporains ? Cette proposition surprendra moins à l'étranger qu'en France, où l'oeuvre de Tony Garnier est restée trop longtemps dans l'oubli, sans doute parce que principalement lyonnaise. Ce livre, retrace les étapes de sa carrière et de son oeuvre. Incompris de l'Institut de France à Rome, Tony Garnier rencontra Edouard Herriot, qui lui confia les grands chantiers de la ville de Lyon, grâce auxquels il concrétisa ses idées novatrices d'architecte et d'urbaniste. Le livre n'oublie pas non plus son rôle de professeur à l'Ecole régionale d'Architecture de Lyon, ni l'influence que Tony Garnier a exercée sur l'évolution de l'urbanisme du XXe siècle. Louis Piessat, élève de Tony Garnier, et collaborateur de son agence, a été le premier Inspecteur départemental de l'urbanisme et de l'habitation pour le Rhône dès 1946, Architecte en chef de la Reconstruction en 1949, Professeur chef d'atelier à l'Ecole Régionale d'Architecture.
Tout comme le féminin, le masculin peut s'envisager comme le résultat d'une construction historique et culturelle, envisagée ici à partir des divers champs des sciences humaines. Distinct du neutre et de l'universel (homo et vir ne sont pas le même homme), face au continent noir du féminin, il a aussi son histoire et ses énigmes. Parce qu'elle conduit à repenser les notions d'humanité et d'universalité, l'interrogation sur le masculin concerne hommes et femmes dans leurs relations comme dans leur devenir individuel et social.
Le développement des musées et la volonté de les ouvrir à de plus larges publics ont modifié la relation qu'ils entretenaient avec leurs visiteurs. Alors que ceux qui les fréquentaient possédaient les clés de lecture nécessaires à la délectation des collections, les nouveaux publics ont besoin qu'on leur en facilite l'accès, afin d'y trouver intérêt scientifique et intérêt esthétique. La médiation culturelle recouvre l'ensemble des dispositifs grâce auxquels les musées cherchent à mieux informer, orienter et former leurs publics, directement ou par l'intermédiaire de relais de plus en plus variés. On a en effet inventé de nouvelles professions à côté de celle, relativement ancienne, de conférencier, dont les fonctions sont progressivement reconnues tant par la mise en place systématique de services culturels dans les musées que par la filière culturelle des collectivités territoriales. Loin d'être unifiée, la médiation cherche à s'adapter à la diversité des musées. Ces derniers en effet s'organisent et accueillent leurs publics chacun à leur façon, tant ils diffèrent par leur localisation, leur taille, la nature de leurs collections, leur statut, la politique culturelle de leur tutelle. Ce livre cherche à présenter une approche de la médiation culturelle qui relève d'une conception du musée fondée sur l'importance de la mémoire et du contact avec l'objet. L'échange entre les partenaires qui permet au musée d'exister aujourd'hui place les publics au centre du musée. Une réorientation du regard qui change ce que le musée rend visible.
Pourquoi et comment sommes-nous passés de la « Marche des Beurs » de 1983, revendiquant l'égalité et la pleine citoyenneté française, à un nouvel investissement de la religion musulmane qui, selon certains, frappe aux portes de l'école ? C'est ce processus complexe que Samia Langar analyse dans cet ouvrage. Après un retour indispensable et sans concession sur le contexte historique qui a façonné cette « question de l'islam », la chercheuse donne la parole aux premiers intéressés : les personnels de l'Éducation nationale et les parents de culture musulmane. Ces enfants que l'on montre souvent du doigt sont des élèves comme les autres et, à ce titre, enseignants comme parents pensent d'abord à leur réussite scolaire. Ces enfants sont aussi les habitants de territoires enclavés de la banlieue lyonnaise, devenus leur seul refuge. Ces enfants sont enfin des Français que l'on qualifie encore, après quatre générations nées en France, comme étant « issus de l'immigration ». Les questions d'intégration, d'identité et de laïcité traversent les échanges, et laissent clairement transparaître un déficit de reconnaissance. Quant au retour à la religion, il apparaît davantage comme un recours face au sentiment d'exclusion, et son expression est avant tout celle d'une aspiration intérieure et non d'une revendication collective.
La notion de « patrimonialisation » désigne certes une tendance à la production croissante de « patrimoines », par des acteurs hétéroclites (institutions nationales ou internationales, acteurs locaux, société civile) et à des échelles locales et globales fortement intriquées. Mais le terme a également intégré le vocabulaire des sciences sociales, au croisement de plusieurs champs de recherche et de nombreux débats théoriques et méthodologiques. Normative pour les uns, heuristique pour les autres, la question de la patrimonialisation est loin de faire consensus. Les processus patrimoniaux constituent néanmoins un observatoire privilégié des rapports entre affirmation de valeurs et prescription de normes, entre situations locales et dynamiques globales. Basé sur des enquêtes de première main diverses par leur provenance géographique et leur ancrage disciplinaire, cet ouvrage explore certaines de ces patrimonialisations croisées. Des indiens Shuar d'Équateur à la ville nouvelle de Chandigarh, en passant par les balafonistes du Burkina Faso et les danseurs sur braises du nestinarstvo, les recherches présentées ici témoignent des nombreux acteurs locaux qui s'invitent à la table de la patrimonialisation, négociant avec les instances internationales, développant des stratégies variées pour bénéficier d'une nouvelle ressource économique, asseoir leur pouvoir ou affirmer leur singularité, interrogeant notre regard occidentalocentré sur la notion de patrimoine. Au-delà des différences de contexte, les auteurs questionnent en particulier les rapports entre mécanismes institutionnels, pratiques sociales et logiques de développement à l'oeuvre dans la formation d'un paradigme patrimonial - plus qu'un modèle - qui contribue à redéfinir les dynamiques culturelles contemporaines.
La voix et la mémoire sont deux figures essentielles de l'oeuvre de Rousseau, liées dans l'intimité de l'écrit. La première sera souvent associée à l'émotion, la seconde au bonheur, jusqu'à se retrouver pour interroger le passé dans une langue qui « parle au coeur », forger le souvenir à la lueur d'une vérité anthropologique et en définitive mettre au jour « la vie comme elle devrait être ». C'est à l'aune de ces deux termes que les lectures ici réunies retracent l'évolution des études rousseauistes depuis plus de vingt ans, livrant un florilège de réflexions sur le processus de création de Rousseau, dans son temps (Pierre Saby), dans sa quête de la vérité (Yves Citton, Denis Reynaud, Jean-François Perrin), dans ses modes d'expression du temps vécu (Pierre Rétat) et de la géographie intime (Jean Sgard). Les écrits autobiographiques et épistolaires témoignent aussi des rapports complexes qu'il entretient avec l'autre, qu'il soit simple lecteur (Claude Labrosse), ami (Christophe Cave), détracteur (Anne-Marie Mercier-Faivre) ou Jean-Jacques lui-même (Michael O'Dea).
L'hostilité de Lawrence Lessig à l'égard des dérives monopolistisques et des excès de la réglementation, notamment celle du droit d'auteur, ne se fonde pas sur des présupposés idéologiques, mais sur une analyse précise, illustrée par de nombreuses études de cas, des conséquences catastrophiques pour l'innovation et la créativité que ne manqueront pas d'avoir les évolutions récentes de l'architecture de l'Internet. De plus en plus fermée, propriétarisée et centralisée, celle-ci est en train de stériliser la prodigieuse inventivité à laquelle l'Internet a pu donner lieu à ses débuts. Historien scrupuleux des trente années de développement de ce moyen de communication interactif, d'échange de connaissances, de création de richesses intellectuelles sans précédent, Lawrence Lessig pose le problème en juriste, mais aussi en philosophe et en politique. C'est une certaine idée du partage des savoirs et de la création artistique qui est en jeu dans les tendances actuelles qui dénaturent les principes démocratiques de l'Internet originel. Cette étude parfaitement documentée est aussi un pressant cri d'alarme.
Pris dans de multiples réseaux d'appartenances et de relations qui débordent largement le cadre restreint de leur quartier, les citadins mettent en pratique des manières d'habiter qui portent l'empreinte de leur propre histoire, mais s'ajustent aussi à celles de leurs voisins. Au carrefour du devenir des immeubles et du destin de leurs occupants, les quartiers urbains ne cessent de se façonner et de se redéfinir au fil du temps. Si chacun a sa physionomie singulière, il porte aussi témoignage de toutes les lignes de force qui concourent à faire la ville et les manières d'être en ville : trajets et projets individuels, lois du marché, jeu des réseaux locaux, mémoire collective inscrite dans les maisons et les espaces de la cité... Tantôt éphémères, tantôt durables, ces ajustements mutuels entre des personnes et des lieux se révèlent ici à la faveur de l'analyse comparée de trois quartiers résidentiels situés au coeur de la ville de Lyon.
La question des relations entre les familles et l'école est une question d'actualité dans les quartiers populaires. Analysant ces relations et les élargissant aux relations avec les animateurs des actions de « soutien scolaire », ce livre montre qu'elles ne peuvent être réduites aux seules questions de la scolarité des enfants. Elles engagent plus profondément une confrontation entre deux logiques divergentes : à un pôle, les logiques scolaires, qui s'inscrivent dans le mode de socialisation dominant dans notre société, le mode scolaire de socialisation ; à l'autre pôle, les logiques socialisatrices des familles populaires, logiques dominées et non légitimes. L'étude de cette confrontation est conduite à travers l'analyse des représentations réciproques, des pratiques socialisatrices des familles, de leurs attentes et de leurs pratiques à l'égard de l'école, des actions mises en oeuvre en direction des familles et des résistances de ces dernières aux logiques scolaires. Ce livre apporte un éclairage sur les problèmes de la scolarisation dans les quartiers populaires tout en rejoignant les débats sociologiques à propos des cultures populaires et des relations des classes populaires avec le monde dominant.